L’immersion de navires en Méditerranée

le 24/08/2022 publié dans le N°302 de Subaqua
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Olivier Clot-Faybesse
par Olivier Clot-Faybesse

En Méditerranée, plusieurs pays coulent volontairement des navires pour le plus grand plaisir des plongeurs, ainsi que pour le bénéfice de la faune sous-marine, qui y trouvera souvent un habitat ou une source de nourriture. Sauf en France. Mais les choses pourraient bien finir par évoluer dans le bon sens grâce au travail de réflexion mené par Pierre Boissery, expert eaux côtières et littoral méditerranéen.
Texte, entretien et images (sauf mention contraire) par O. Clot-Faybesse.
Image à la une : Juin 2013 : dernier instant à la surface pour le remorqueur n°2, qui repose dorénavant à – 15 m de fond près de Sliema (Malte/Méditerranée).

Bouquet de gorgones sur un des bossoirs du Liban (Marseille)…

Bouquet de gorgones sur un des bossoirs du Liban (Marseille)…

Elle est l’objet des premiers travaux sous-marins avec des cargaisons récupérées. Elle est aussi au cœur des études archéologiques subaquatiques à travers la fouille in situ de vestiges antiques. Elle est le sujet d’une multitude de récits écrits, de documentaires et du tout premier film jamais tourné en scaphandre autonome (par Cousteau en 1943). Sans aucun doute, l’épave est indissociable de l’univers de la plongée. Il n’est donc pas surprenant qu’on la retrouve au programme de destinations proches comme lointaines(1). Certains pays (Jordanie, États-Unis, Bahamas…) n’hésitent d’ailleurs pas à enrichir leurs fonds en épaves, en sabordant à intervalles plus ou moins réguliers, des navires mais aussi des avions ou des véhicules. Les bénéfices ? Créer ainsi de nouveaux sites capables d’attirer les visiteurs et renouveler l’attrait de leurs eaux auprès du public plongeur. En Méditerranée, les îles-nations de Chypre et de Malte, ainsi que la Turquie, le Liban et Israël (pays qui immerge aussi des épaves en mer Rouge, à Eilat), suivent cette même politique, envoyant par le fond du métal par centaines de tonnes.

Des tanks, immergés entre – 5 et – 28 m en 2019 (Jordanie/mer Rouge).

Des tanks, immergés entre – 5 et – 28 m en 2019 (Jordanie/mer Rouge).

Pierre Boissery.

Pierre Boissery.

Dans nos eaux territoriales, cette pratique n’a cependant pas lieu. Le rendez-vous raté(2) avec le porte-avions Clemenceau aura rendu amer beaucoup de monde. Pourtant en France, rien ne s’oppose formellement à couler de manière volontaire et encadrée un navire, quelle que soit sa taille. C’est ce qu’explique Pierre Boissery.

Avant d’aborder l’aspect légal, pouvez-vous préciser en quoi une épave est profitable pour l’environnement ?

Une plongée sur le Donator ou le Sagona (voir pages 20-24) permet de se rendre compte qu’une épave peut devenir une véritable oasis de vie. L’abri que ses superstructures offrent à la faune en fait un endroit de reproduction, une nurserie participant à la biodiversité. En parallèle, l’épave devient souvent aussi un site très apprécié des plongeurs, permettant au passage de désengorger les sites naturels proches, souvent hyper fréquentés à la belle saison.

De la frontière espagnole jusqu’à la frontière italienne, les épaves à découvrir sont nombreuses dans les eaux françaises. Pourquoi en rajouter en sabordant des navires ?

Plongeurs explorant l’épave du P-29, patrouilleur décommissionné et sabordé en 2009 à proximité de l’île de Comino (archipel de Malte/Méditerranée) sur un fond de sable, à - 20 mètres.

Plongeurs explorant l’épave du P-29, patrouilleur décommissionné et sabordé en 2009 à proximité de l’île de Comino (archipel de Malte/Méditerranée) sur un fond de sable, à – 20 mètres.

La plupart de nos épaves en Méditerranée sont anciennes. Il s’agit de navires victimes d’une mine ou d’une torpille lors de la Première ou Seconde Guerre mondiale (l’Alice Robert, le Donator, la Drôme, le Sagona, le Togo…), ou bien d’une collision, à une époque où la navigation se faisait à vue, à l’aide d’une instrumentation rudimentaire (le Liban, le Michel C, le Ville de Grasse…). La navigation étant devenue nettement plus sûre, les fortunes de mer se font rares. Et quand un accident se produit, soit le navire est renfloué si son naufrage a eu lieu par petits fonds, soit son épave va reposer à grandes profondeurs, et donc sera à tout jamais inatteignable. Par conséquent, la quasi-totalité des épaves reposant dans les eaux françaises sont âgées : le Donator a passé déjà 75 ans sous l’eau (1945), alors que le Liban (1903) fêtera ses 120 ans l’année prochaine ! Au fil du temps, ces vestiges se dégradent, perdant de leur intérêt aux yeux des plongeurs, et aussi de leur attrait écologique. Un bon exemple est l’épave réputée de l’Alice Robert, qui a récemment vu son emblématique mât s’affaisser et l’une de ses cales se déchirer(3).

Immerger des navires pour en faire de nouvelles épaves pour les plongeurs serait donc une bonne chose ?

Avant d’être sabordé, le navire est dépollué, préparé et sécurisé  pour les plongeurs (découpes, etc.), comme pour le remorqueur n°2 (Malte).

Avant d’être sabordé, le navire est dépollué, préparé et sécurisé
pour les plongeurs (découpes, etc.), comme pour le remorqueur n°2 (Malte).

Oui car le but n’est pas de se débarrasser d’un vieux rafiot en l’immergeant, mais d’offrir à la vie marine, à travers un navire dépollué puis sabordé sur une zone (fond) pertinente, un support aidant à la restauration écologique à l’image des récifs artificiels. Ceci n’est cependant que le premier point positif. Le second est économique, ce que souligne le rapport du juriste et consultant maritime et portuaire, Julien Belda (lire par ailleurs). Un exemple concret : en Floride, chaque dollar dépensé pour une épave artificielle en générerait 130 de profit. Pour la petite histoire, le succès est tel que l’attente pour plonger sur le porte-avions Oriskany, sabordé dans le golfe du Mexique, serait de plus de deux ans !

Nous voilà convaincus. Mais si plusieurs de nos voisins ne s’interdisent pas de couler des bateaux dans leurs eaux territoriales, ce n’est pas le cas chez nous. Quelle est donc la nature des blocages qui empêchent tout projet d’immersion d’un navire en Méditerranée française ?

Le premier verrou est en lien avec le droit international et relève de l’interprétation de la convention de Barcelone. Pour rappel, cette convention signée en 2002 interdit purement et simplement dans son article 4 tout sabordage de navires ou d’aéronefs en Méditerranée, et ce sans faire aucune distinction sur son état partiel ou total de dépollution. Pour autant, et bien qu’ayant signé cette charte, pas mal de pays méditerranéens ne se gênent effectivement pas pour immerger des navires… Le second verrou est de l’ordre du droit national. Il relève principalement du statut du navire, de la gestion des espaces maritimes et de la domanialité publique maritime (immersion et stationnement au fond de la mer du navire, etc.).

Comment faire sauter ces verrous ou les contourner ?

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 302 Abonnez-vous

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