La silhouette du Vieux Palais se dessine peu à peu à travers la surface de la rivière, alors que le corps dans la vase du fond de la rivière, à 4 mètres de profondeur, je m’approche d’une arche du Pont Vieux. Le débit de l’eau est régulé et la température de 14 °C, très acceptable. « Quel beau symbole que ce monument de pierre, bâti sur le roc qui émerge fièrement au bord de l’eau qui s’écoule! Solide, svelte, élégant même, avec ses croisillons aux moulures simples mais soignées, ses larges fenêtres, ses arceaux, ses corniches et ses dentelles d’arabesques, le Vieux Palais était hier encore, le symbole de la France, la nation paysanne et robuste, cachant sa forte ossature sous un visage gracieux, un esprit ouvert et enjoué: l’esprit gaulois ».
Avec Nicolas Liautard, mon guide, président du club de plongée Rouquayrol et Denayrouze, c’est un véritable bond de quatre siècles dans l’histoire que nous vivons. Bernardin de la Valette, gouverneur d’Espalion, fut à l’origine de la construction de ce bâtiment. Alors que je suis à la recherche de quelques vestiges, parmi les alluvions déplacées de l’amont au cours du temps, je tombe sur un énorme monolithe de plus de 4 mètres de long et presque 1 mètre de diamètre, à moitié enfoui dans les sédiments. La visibilité n’est pas extraordinaire. « Une colonne, en marbre ou en granit? », me dis-je. J’approche ma main, touche cette superbe pièce archéologique du doigt pour en apprécier la texture et, oh surprise, elle se met à bouger. Je peux même aisément la faire rouler sur le sol. Je décide, avec un petit rictus de déception ressemblant à un sourire, de soulever ce trésor à bout de bras tel un haltérophile, pour le projeter plus loin. Ce tronc d’arbre, gorgé d’eau depuis des décennies, voire peut-être des siècles, a une flottabilité quasiment neutre. N’est pas archéologue qui veut ! J’ai même aperçu de nombreux poissons se moquer de moi…
Après une petite heure sous l’eau, avec Nicolas nous sortons de la rivière, sur la rive opposée à celle du Vieux Palais planté sur le Roc Magnus, près d’une superbe statue en bronze de scaphandrier de deux mètres, symbole d’une fabuleuse histoire née ici près du Pont Vieux, dans l’Aveyron. Sous son casque, il semble sourire aussi.
Espalion, cette petite ville de la vallée du Lot, est connue pour être l’une des étapes du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Après l’austérité de l’Aubrac, c’est « le premier sourire du midi ». Et, bien que située à plus de 200 km des côtes maritimes (Manche, Atlantique et Méditerranée), elle a été en 1864 le berceau du premier scaphandre autonome doté d’un régulateur de pression, annonciateur de la plongée autonome du XXe siècle. En effet, « c’est par un transfert de technologie du domaine de la mine à celui de la mer, qu’Espalion s’est rattachée à l’histoire du scaphandre », m’explique Muriel Peissik, chargée des relations extérieures de l’Association du Musée. Voici comment l’histoire du scaphandre s’enrichit d’une problématique née du terroir : l’Espalionnais Benoît Rouquayrol (1826-1875), ingénieur des mines à Decazeville, à quelque 60 km d’Espalion, mit au point en 1863 un appareil respiratoire pour sauver les mineurs pris dans les coups de grisou. Mais le principe du régulateur à membrane, objet d’un brevet en 1860, était amphibie de conception. Il faut savoir que les houillères pouvaient être inondées ! L’appareil Rouquayrol fut adapté dès 1864 pour le domaine sous-marin, dans lequel le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze (1837-1883), lui aussi habitant d’Espalion, entrevoyait un vrai débouché commercial. Les deux hommes s’associèrent : « Un tandem qui n’est pas sans rappeler celui de Cousteau-Gagnan », me fait remarquer mon guide. La société Rouquayrol-Denayrouze, qui a complété l’appareil plongeur de différents accessoires, l’a diffusé avant la fin du siècle, en Occident dans les Marines nationales européennes et américaines, auprès d’établissements de travaux hydrauliques, mais aussi en Orient, pour la pêche aux éponges, aux huîtres et au corail.