MER DE BISMARCK La diagonale du fou

Pierre Constant
Publié le 30 sept. 2020, modifié le 18 sept. 2024
Aventurier, explorateur, grand voyageur, plongeur, photographe et conteur. Pierre Constant est tout cela à la fois. La preuve à travers ce récit qui traite de découvertes sous-marines faites dans un lieu des plus reculés de la planète, la mer de Bismarck. Située en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où l’auteur a séjourné plusieurs années (îles de l’Amirauté), cette mer borde un vaste archipel du même nom, composé d’une multitude d’îles volcaniques. Texte et images Pierre Constant (www.calaolifestyle.com)

La pleine lune s’est levée au-dessus du lagon, dessinant un rai de lumière sur la surface sombredu miroir. Lancé à vive allure, le bateau remonte cette voie scintillante dans la nuit, ne laissant qu’une trace d’écume dans son sillage. Je hume debout les senteurs humides du soir et les arômes de la forêt tropicale. Les auspices sont de bon augure et je suis confiant. Ce soir, je vais rencontrer « la bête ». Je suis prêt.

Kangourous arboricoles, oiseaux de paradis, coraux et poisons tropicaux

Formant un triangle remarquable avec l’Indonésie et les Philippines, la Papouasie-Nouvelle-Guinée possède les fonds sous-marins les plus riches de la planète. C’est le cœur de l’Indo-Pacifique. La diversité des récifs coralliens, l’immense variété des coraux ou le nombre incroyable d’espèces de poissons, d’invertébrés marins, attirent et fascinent les passionnés, dont les photographes. Il est vrai que ce fabuleux pays, royaume des kangourous arboricoles, des cuscus, des casoars et des oiseaux de paradis n’est pas, depuis l’Europe, une destination facile d’accès, ni à la portée de toutes les bourses.

Coiffant le nord de l’Australie comme le bicorne de Napoléon, la Nouvelle-Guinée est la deuxième île au monde par sa superficie. Une ligne nord-sud la partage en deux, entre la Papouasie occidentale (West Papua) – anciennement Irian Jaya – qui appartient à l’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, anciennement australienne, qui a obtenu son indépendance en 1975. Pour le plongeur qui traverse la planète en quête d’exotisme absolu et de dépaysement garanti, l’expérience de la PNG – comme on l’appelle ici – est souvent l’affaire d’une croisière de plongée. Celles-ci se font en mer de Corail, au sud de Port Moresby, ou bien à Milne bay et ses îles, à la pointe orientale du pays, ou encore sur la côte nord au départ de Madang, voire plus loin en Nouvelle-Bretagne, en Nouvelle-Irlande et à Manus, autour de la mer de Bismarck. Ces croisières sont généralement onéreuses et s’adressent essentiellement à une clientèle fortunée, en particulier américaine. La Papua-New-Guinea Divers Association (PNGDA) regroupe une vingtaine d’opérateurs de plongée dans le pays, dont au moins sept sont des liveaboards (navires de croisière).

La douzaine d’opérateurs basés à terre, propose des sorties quotidiennes avec ou sans logement dans un resort (ensemble hôtelier). Certains ont un coût élevé ; d’autres sont accessibles à des budgets modestes, que l’on trouve – un peu comme des perles rares – dans des sites exotiques à souhait. Laissez-moi vous présenter trois zones remarquables : Madang, sur la côte nord de la Nouvelle-Guinée, Kavieng, en Nouvelle-Irlande, au nord de la mer de Bismarck, et Milne Bay, du côté d’Alotau, entre la mer de Corail et la mer des Solomon.

Madang

Capitale de la province du même nom, Madang est une petite ville côtière pleine de charme avec des espaces verts, de nombreux lacs, lagunes et rivières. Ancienne base japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville a été rasée par les bombardements alliés, puis reconstruite.

De nombreux vestiges attestent de cette époque mouvementée, sous forme d’épaves de matériels militaires, d’avions ou de bateaux, dans la jungle et sous l’eau. À l’ombre d’une grande allée de filaos (casuarinas) – refuge d’une colonie de grandes roussettes – une balade en bord de mer le long de la Coronation Drive, est mémorable. Le lagon de Madang couvre une aire de 15 km de long sur 4 km de large. Il s’étire de la ville (au sud), jusqu’à Alexishafen (au nord) et Pig island à l’est. La bordure externe est ponctuée par une série d’îles qui témoignent d’une barrière corallienne ancienne, soulevée par action tectonique et brisée en plusieurs morceaux. L’édifice récifal se continue sous l’eau, de l’île de Krangket jusqu’à l’île de Sek. Différentes passes permettent au courant de rentrer ou de sortir en fonction des marées. Le lagon renferme les épaves d’un bombardier B25 Mitchell, du cargo Henry Leith et du navire de guerre USS Boston. Les recherches de l’ichthyologue australien Gerry Allen et autres scientifiques, ont mis en évidence 1 000 espèces de poissons, 800 espèces de coraux, 400 espèces de nudibranches et 9 espèces d’anémones.

Havre de quiétude et de verdure, le Jais Aben Resort se situe à une vingtaine de kilomètres de Madang et est l’emplacement choisi par le Christensen Institute, pour y installer voilà plus de 20 ans, un laboratoire de recherche marine. Aujourd’hui, c’est un des lieux préférés des plongeurs, a fortiori depuis que Tim et Lesley Rowlands y ont créé le centre Aquaventures. Ils opèrent aussi pour des croisières autour des îles volcaniques de Karkar, Bagabag, Crown et Hansa bay, le MV Kamai, (8 plongeurs maximum). Les sites de plongée, une quinzaine, sont pour l’essentiel des passes, des murs et quelques épaves dans le Nagada Harbour.

À l’est de Pig Island, Barracuda Point est une des immersions favorites, avec sa profusion de lutjans noirs et de barracudas à queue noire. On y rencontre aussi un banc de perroquets à bosse, gris bleu acier. J’y croise également une raie manta. Magic Passage, non loin de l’île de Krangket, est une passe profonde de 31 à 35 mètres, avec des patates de corail éparses, hérissées de coraux vert Tubastrea macrantha, véritables sapins de Noël, avec leur nuée d’anthias violet ou orange. Certaines sont des stations de nettoyage pour gaterins, platax, lutjans de minuit et écureuils. Longeant le tombant sur un bord de la passe, je croise barracudas à queue jaune, une volée de carangues à gros yeux, un napoléon, quelques requins gris de récif et un requin à pointes blanches. Je tombe sur une autre cleaning station pour empereurs à gros yeux et empereurs à long nez. Notre guide danois, Claus, nous emmène ensuite sur un autre site d’exception au sud de la ville. Planet Rock est une montagne sous-marine (guyot) au large, dont le sommet plat est à 5-7 mètres de profondeur. Du fait d’un courant omniprésent, un bon niveau de plongée est requis pour cette immersion. Nous regagnons la pointe sud du récif à contre-courant.

Une magnifique farandole de barracudas nous y attend. Carangues à nageoires bleues et carangues noires font des traversées éclair. Une formation de platax teira vient à notre rencontre. Un nuage gris bleu ardoise de balistes azur qui apparaît sans crier gare. Le corail de Planet Rock est en très bon état de conservation, un régal pour les yeux. Peu avant le palier, deux poissons lime (Aluterus scriptus), marbrés bleu turquoise, se livrent à une gracieuse danse de parade. Incontestablement, on revient émerveillé de Planet Rock !

La plongée à Madang a son jardin secret. Un soir de pleine lune, lors d’un séjour en 1999, j’y ai fait la rencontre peu ordinaire d’un requin nocturne. Aussi, je n’ai qu’une idée en tête : celle de retourner à Eel Garden. Mise à l’eau à Pig Island. La pente de sable est bordée d’un récif couvert de coraux mous. Le faisceau de ma torche retrouve l’épave d’un catamaran coulé voilà plus de 20 ans. Une bonne cache pour de gros mérous violacés à lignes bleues. Mais l’objet de ma curiosité apparaît soudain, sagement posé sur un énorme massif de corail chou-fleur Stilophora pistillatus. Immobile, le requin bambou à cagoule ou requin chabot moine, Hemiscyllium strahani, est aux aguets.

Facilement effarouché par la lumière, il disparaît furtivement entre les branches de corail. Ne mesurant pas plus de 80 cm de long, il rampe comme un chat, ventre à terre et ne nage en pleine eau qu’en cas de fuite précipitée. Espèce extrêmement rare, le requin bambou à cagoule est aussi très photogénique. Brun rouge, il est maculé de taches blanches et ses nageoires pectorales arrondies ont une fine frange blanche. Commun au sud de la Nouvelle-Guinée, il n’avait pas été répertorié sur la côte nord jusqu’à ce que je le traque en juin 1999, suite à une observation de Tim Rowlands. Plusieurs individus sont présents à Shark City, sur le site d’Eel Garden. Une rencontre du troisième type à ne pas manquer !

Kavieng

Une trajectoire à vol d’oiseau cap nord-nord-est au-dessus de la mer de Bismarck, mène tout droit à Kavieng. Sur la carte marine, l’île de Nouvelle-Irlande, ressemble à un tibia jeté dans l’océan.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher