Au pays des peaux bleue

le 22/10/2021 publié dans le N°298 de Subaqua
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Gilles Auroux
par Gilles Auroux

Après le requin océanique (Subaqua 294), nous vous emmenons découvrir une autre espèce pélagique : le requin peau bleue. À la manœuvre cette fois, le photographe Gilles Auroux, pour un portrait original de cette espèce, entre récit de plongée, biologie et regard animalier.
Texte et images, Gilles Auroux.

Bruno coupe les gaz, laissant le puissant moteur de 300 CV s’étrangler dans un dernier hoquet, comme offusqué que notre skipper lui intime aussi brutalement l’ordre de se taire. Le Black Pearl, qui jusqu’alors dansait élégamment sur la crête des vagues de l’Atlantique, retombe lourdement et se laisse désormais bercer par la houle qui le pousse gentiment vers le large.

Mont-Pico

Au loin, le cône volcanique du mont Pico dresse fièrement ses 2 351 mètres à l’assaut des nuages, comme l’ultime vigie rescapée de ces temps pas si lointains où les habitants des Açores scrutaient l’horizon pour y déceler le moindre souffle de cétacé afin de lancer les harponneurs à leur poursuite (aux Açores, la chasse à la baleine a officiellement cessé en 1986). On pourrait nous croire perdus au milieu de l’immensité bleue de l’océan, et pourtant les 700 mètres de profondeur qu’affiche notre sondeur attestent que nous sommes exactement où nous le voulions : sur le territoire des requins bleus…

/// Un pélagique opportuniste

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Le requin bleu (Prionace glauca), communément appelé peau bleue, constitue une espèce océanique plutôt cosmopolite puisqu’on la croise dans presque toutes les mers du monde. Affectionnant les eaux fraîches (entre 12 et 20 °C), ce requin occupe la zone épipélagique, adaptant simplement sa profondeur à la température ambiante, n’hésitant pas à plonger jusqu’à 350 mètres de la surface dans les zones tropicales pour y trouver de l’eau plus fraîche. Son régime alimentaire est éclectique : il se nourrit essentiellement d’espèces épipélagiques, voire mésopélagiques (il raffole notamment des calmars), et joue parfois les nécrophages en s’alimentant sur les cadavres de cétacés. Comme tous les requins évoluant dans l’immense désert océanique où les proies s’avèrent assez rares (contrairement aux requins de récifs qui eux n’en manquent pas), le requin peau bleue affiche un caractère curieux qui le pousse à s’intéresser de près à la moindre opportunité alimentaire. Et c’est bien sur ce trait de caractère que nous comptons…

/// Préparatifs

Sur le Black Pearl tout le monde s’affaire. Nina, notre monitrice, confectionne des pendeurs au moyen de filins lourdement lestés à leur extrémité, puis les immerge en les attachant sur les taquets disposés le long des gros boudins de notre semi-rigide. Pendant ce temps, Bruno, l’élégant skipper se transforme en poissonnier et entreprend de découper quelques têtes de poissons, broyant viscères et chairs en un infâme brouet dont le vent emporte fort heureusement l’odeur nauséabonde vers la poupe du bateau. Bientôt les têtes de poissons rejoignent un panier au couvercle précautionneusement fermé avant qu’il ne soit jeté par-dessus bord, accroché à un filin qui le relie au Black Pearl. L’attente commence alors. Huit paires d’yeux scrutent avidement la surface de l’océan à la recherche du moindre aileron, tandis que Bruno verse régulièrement à la mer une louche de sa potion magique, créant un sillage olfactif qui suit notre bateau dans sa lente dérive. Nul doute qu’avec un tel fumet les squales ne vont guère tarder à pointer le museau, même si pour l’instant ce sont plutôt les mouettes qui nous témoignent de l’intérêt, attirées par les quelques bouts de chair de poissons pas totalement broyés qui flottent un instant à la surface avant de rejoindre les profondeurs. Et puis, brusquement, le premier squale apparaît.

/// Une espèce menacée

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Comme surgi de nulle part, un requin tourne désormais autour de notre panier à quelques mètres seulement du semi-rigide. Son dos d’un magnifique bleu électrique ne laisse planer aucun doute sur son identité, ni d’ailleurs sur l’origine de son nom. Difficile en effet avec une telle couleur de le confondre avec une autre espèce et, en cas d’hésitation, il suffirait de regarder son long museau arrondi ou bien encore ses pectorales longues et étroites pour être définitivement convaincu. Mesurant environ 1,50 mètre, il s’agit d’un individu de taille assez modeste, probablement un subadulte, puisque la maturité sexuelle de cette espèce intervient entre 4 et 6 ans, soit une taille de près de 2 mètres pour les mâles et de 2,20 mètres pour les femelles. Sa longueur moyenne se situe généralement entre 2,5 et 3 mètres. Mais certains spécimens peuvent atteindre des dimensions bien plus imposantes, le record scientifiquement mesuré étant de 3,83 mètres, soit un beau bébé qui mérite toute l’attention du plongeur ! Malheureusement, les gros spécimens sont de plus en plus rares.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 298 Abonnez-vous

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