EXPÉDITIONS
DISCIPLES DE COUSTEAU
le 29/08/2019
Chaque dimanche de leur enfance, ils ont dîné dans le carré de Calypso. Invariablement. Dans la fumée de tabac, la chaleur du bois peint et celle de l'amitié, ce repas cathodique et rouleur ponctuait le rendez-vous dominical de l'extraordinaire Aventure. Ainsi, avec le commandant, avec Bébert, avec Philippe, avec André, avec Bernard et avec beaucoup d'autres, le souffle court, ils ont côtoyé les requins, joué avec les otaries, parcouru les coursives noyées et fleuries du Roraïma. Vêtus d'un bonnet rouge, le cœur battant et les doigts gourds, ils sont montés dans le panier d'osier d'une montgolfière et ont survolé la banquise. Avec Bébert encore, ils ont fermé le panneau rond de la soucoupe Denise avant de descendre dans la nuit océane. Ou, sublimés par un vêtement d'argent, ils ont peut-être éprouvé les indicibles et troubles plaisirs de la narcose mêlée au sang de la Gorgone… Enfin, les cheveux dégoulinants d'eau et de sel, en tournant l'immense roue gainée, ils ont mis cap à l'ouest vers un soleil couchant, couleur de promesses et de Gloire. Chaque dimanche, happés par un monde inconnu, fascinés, ils ont pris goût à la mer et à la plongée, les yeux brillants fixés sur une fenêtre bleue, percée dans le mur trop gris et trop contraint de l'enfance. Ils ont rêvé.
Et puis les années ont passé : ils ont grandi. Pour la plupart, ils sont devenus postiers, chirurgiens, plombiers, infirmiers, professeurs ou avocats. Ils ont acheté des meubles et des automobiles, forgé des chaînes et fermé des verrous. De retour à Ithaque, en même temps que le lit de Pénélope, ils ont découvert le regret comme ils ont découvert la plongée pratiquée durant son temps libre, ce qui soit dit entre nous sous-entend que l'autre ne l'est pas…
Heureusement, quelques-uns, plus courageux, plus décidés, plus tenaces ou tout simplement un peu plus rêveurs ont décidé de garder la fenêtre ouverte. Ils ont choisi de continuer l'odyssée… Chacun à leur manière, ils cherchent à montrer et à comprendre le monde comme ils cherchent sans doute à se comprendre eux-mêmes. Ils sont nombreux et nous en connaissons beaucoup, des cinéastes, des photographes, des archéologues, des biologistes, des marins, des moniteurs et - en suis-je si sûr ? - un ou deux journalistes : ce sont les disciples de Cousteau.
Hasard du calendrier, Emmanuelle et Ghislain Bardout, d'Under the Pole, les membres de Tara Expéditions et notre ami Alban Michon cohabitent dans les pages de ce numéro. Nous les aimons et les admirons tous. Pour ce qu'ils sont et pour ce qu'ils font. Le temps de quelques mots et de quelques photos, nous revoilà plongés dans l'Aventure sans limite, comme nous l'étions jadis dans le regretté carré de Calypso…
Pierre Martin-Razi
* Ça tombe bien ! En ces temps de " plongée avec un e " et de débat sur l'écriture inclusive, disciple s'entend aussi bien au masculin qu'au féminin. Pour le reste, prudent, nous tenons à préciser que le masculin est ici employé dans sa forme neutre comme le rappellent les quarante de l'Académie. Le texte vaut donc tout autant en remplaçant ils et eux par elles, infirmiers par infirmières, avocats par avocates et, enfin (Homère nous pardonne !), Pénélope par Ulysse. Ce n'est pas Emmanuelle qui nous contredira…