Biak des grottes dans la jungle

le 27/04/2018 publié dans le N°278 de Subaqua
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Pierre Constant
par Pierre Constant

Loin des chemins habituels du voyage plongée, Pierre Constant nous entraîne au cœur de la Papouasie de l’Ouest, à la recherche des grottes et des lacs, témoins pas si muets de la Deuxième Guerre mondiale. En sa compagnie, on mesure que la découverte, sœur de l’Aventure, est au coin de la jungle ! Photos de l’auteur.

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Oubliez l’Irian Jaya ! Bien que le nom soit plaisant à l’oreille, il relève du passé. Donné en son temps par les maîtres indonésiens, il fait référence à la libération de la Papouasie du joug des Hollandais, et à l’occupation qui s’ensuivit, par l’Indonésie, responsable de bien des méfaits sur la population indigène. Par décret présidentiel de Gusdur en 1999, la moitié indonésienne de la Nouvelle-Guinée – deuxième île au monde par sa superficie – a été renommée West Papua ou Papua Bharat, pour reconnaître la différence ethnique de la culture papoue. Depuis leur tentative déjouée de déclaration d’indépendance en 1971, la plupart des Papous aspirent à la liberté. L’anniversaire de cette déclaration, le 1er juillet 1998, a causé le « massacre de Biak », où 200 manifestants ont été tués par l’armée indonésienne, puis jetés en pâture aux requins, en haute mer. Aujourd’hui, si 50 % de Biak est musulman, la réalité est que 90 % du territoire papou continental demeurent chrétiens, dans un pays à prédominance musulmane.

BIA_4656La culture Biak Numfor est mélanésienne, animiste à l’origine. Localisée au nord de Cenderawasih Bay, l’île fut d’abord aperçue par le navigateur portuguais Jorge de Meneses en 1526, lors de son voyage de Malacca aux Moluques. Le navigateur espagnol Alvaro de Saavedra est passé au large en 1528. Plus récemment, l’Histoire raconte que l’île était une place forte de l’armée impériale japonaise pendant la guerre du Pacifique, jusqu’à l’arrivée du général américain MacArthur en 1944. Vers la fin de la guerre, 11 000 soldats japonais, sous le commandement du colonel Kuzume Naoyuki, se cachaient dans des grottes sous le couvert de la jungle, attendant l’invasion américaine avec moult munitions et neuf chars légers du type 95 HaGo. À seulement 5 km de la ville de Biak, une de ces grottes était Gua Binsari ou Gua Jepang, appelée Japanese cave. C’était le refuge de quelque 3 000 Japonais, qui vivaient dans un système souterrain s’étirant sur 3 km jusqu’à la plage de Parai. Après qu’un de leurs avions se soit fait descendre par un missile japonais, les Américains bombardèrent le site. Un vrai carnage et un massacre intégral. À l’issue de la bataille de Biak, qui dura du 27 mai au 17 août 1944, les Américains eurent 3 000 blessés et 474 tués, alors que les Japonais eurent 6 100 tués et 450 capturés. Le colonel Kizume Naoyuki se fit hara-kiri.

Retour vers le passé

Après deux jours de voyage depuis Paris, via Djakarta, mon avion atterrit à Biak à 5 h 30. Décalage horaire total. J’en aurai pour deux jours à me remettre et être en phase ! Le dimanche matin de mon arrivée, je me rends à Gua Jepang à l’arrière de la moto de Jake, réceptionniste de l’hôtel. Le petit musée a été déplacé dans un espace ouvert devant le bureau de réception, où je m’acquitte d’un droit d’entrée de 50 000 Rp (environ 4 euros). Un chemin cimenté, recouvert de son duvet de mousses vertes, mène après une courte balade à un escalier qui disparaît en zigzag sous terre. L’arche d’entrée est comme une cathédrale, avec des filets d’eau qui dégoulinent du plafond. L’énorme caverne révèle une sortie sur la droite ainsi qu’une ouverture gigantesque sur la gauche. Des débris de bouteille jonchent le sol partout alentour. Je découvre un os humain cimenté dans la boue.

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Un rideau impressionnant de lianes et de racines tapisse la paroi, qui s’ouvre sur une vaste doline. Le site est atmosphérique, sans l’ombre d’un doute. De minces pandanus avec leur couronne de longues feuilles épineuses, s’érigent au milieu du sinkhole, ajoutant une touche de Jurassic Park à cet environnement étrange, figé dans le temps. De vieux barils japonais rouillés et éventrés, gisent au pied des lianes. Le sentier fait une boucle à l’intérieur, grimpant progressivement sur une butte qui domine le centre du trou. Soudain, Jake pointe le doigt vers la figure d’un serpent brun cuivre d’environ un mètre, qui repose immobile devant moi. « Mangabasio !.… », s’écrit-il, en faisant un pas en arrière. « Venimeux ! »… J’apprends plus tard qu’il n’en est rien. Réalisant quelques photos, je garde une distance respectable de 2 m, avant de voir le reptile grimper la paroi avec une facilité déconcertante. À la sortie, le chemin monte au sommet de la doline pour une vue plongeante. Le musée à ciel ouvert est une collection de mitrailleuses, mortiers, bombes, roquettes d’avion, gourdes japonaises, casques, bouteilles, voire une vieille jeep et une hélice d’avion.

À la recherche d’un vieux récif barrière

À vol d’oiseau vers l’est, c’est le jour du marché à Bosnik, site du débarquement amphibie US du 27 mai 1944. Les étalages vendent de typiques produits papous tels que noix d’arec, manioc, patates douces, gâteau de sago, aussi bien que poulpes et fruits de mer fumés, poissons frais, feuilles de papaye, haricots et bananes. Tout le monde mâchonne la noix d’arec à longueur de journée, et me décroche un sourire vermillon flamboyant qui se veut amical, alors que je déambule, étranger dans un pays étrange. « Hello Mister ! » est la salutation d’office. Les mardis, jeudis et samedis, Bosnik est le point de départ des bateaux publics à destination des îles Padaïdo, connues pour leurs sites de plongée attractifs. L’auberge de Mrs Augustina — ex-compagne de l’américain Winkie, mort voici 10 ans — reçoit les visiteurs de passage et propose des repas.

Couverte de jungle, une ride de calcaire de 40 m de haut, s’étire comme une dorsale tout au long de la côte sud, jusqu’au cap Barari, à l’est de Biak. Vraisemblablement un vieux récif barrière, qui a évolué en karst, avec moult grottes et rivières souterraines. Voilà précisément l’objet de ma recherche, ce que je souhaite explorer ces prochains jours, avec de la plongée en grotte si possible.

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Toujours en proie à mon décalage horaire, j’émerge à 3 heures du matin et ne peux me rendormir jusqu’à 5 heures. Le divemaster Yulius Kapitarau me retrouve sur sa moto devant l’hôtel, mais fronce des sourcils à la vue de la pile de sacs et équipements qui m’accompagne. Après un coup de fil, Mrs Emmy mettra sa voiture à ma disposition pour mes besoins. Yulius rajoute quelques blocs dans le coffre. Cap pour le village d’Opiaref, au-delà de Bosnik. J’ai entendu parler d’une large caverne avec des piscines naturelles, terrain de jeux des enfants de l’école. Yulius n’est qu’un plongeur en mer, mais se joint à moi pour la journée. Pour être politiquement correct, nous rendons visite au bigman Demikianus Arwakon, qui n’a aucune objection à ma requête. Il est même curieux de savoir ce que je vais découvrir ! Derrière l’école élémentaire, un sentier file vers la falaise calcaire, puis disparaît dans l’entrée béante de la grotte de Gua Serumi. Véritable tunnel, Opiaref Cave a tout l’air d’une rivière souterraine, malgré la pile de rochers à l’entrée et au milieu de la grotte. L’eau est d’une limpidité prometteuse et s’avère être le réservoir du village, avec une station de pompage. J’enfile l’équipement sur un rocher couvert de guano et me jette à l’eau.

Un développement limité

La première vasque est de 2 mètres de profondeur, mais je trouve un passage sur la droite sous un rocher, qui descend dans un petit tunnel avec restrictions. Craignant de ne pouvoir faire demi-tour, je ne m’aventure pas trop loin. Quelques poissons, de la famille des Eleotridae, viennent à ma rencontre.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 278 Abonnez-vous

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