Dauphins & requins… Et plus si affinités !

le 30/11/2014 publié dans le N°257 de Subaqua
CROISIERE_257_EGYPTE-1
Pierre Martin-Razi
par Pierre Martin-Razi

Depuis plus de deux ans, l’Odyssey promène ses quarante mètres et sa coque bleue de Ras Mohamed à Bérénice pour le plus grand bonheur des plongeurs. Malgré les soubresauts qui affectent l’Égypte, la zone de la mer Rouge demeure, pour l’instant, une région que le ministère des Affaires étrangères, plutôt prudent, considère comme relativement sûre. Alors pourquoi se retenir de découvrir des sites en toute tranquillité et adjoindre à une classique croisière BDE (Brothers, Daedalus et Elphinstone) un petit tour avec les dauphins de Sataya ? C’est le programme malin – naturellement baptisé « Croisière dauphins et requins » – qui a été mis en place par l’agence Seafari. Un reportage de Pierre Martin-Razi. Photos de l’auteur sauf mention contraire.

Chargement de la carte...

Accoudé au bastingage, je devine la côte égyptienne, long camaïeu d’ocres et de jaunes voilé par une brume pâle. Sur la droite, la ville d’Hurghada s’enfonce dans un ciel blanc alors que devant moi, trait à peine marqué, l’île de Magawish se détache petit à petit de l’horizon diffus. Vu de loin, le désert arabique change peu, malgré le cancer d’une urbanisation débridée qui le ronge… Nous avons enfin quitté la nouvelle marina, les odeurs du gas-oil et du caoutchouc chauffé pour retrouver la sérénité ronronnante du large. La mer clapote, gentiment agitée par une brise venue de Suez alors que l’Odyssey, notre bateau, fait route au sud. Je fixe les vaguelettes, leurs reflets bleus et hypnotiques et je me souviens…

CROISIERE-EGYPTE-257-3

JEUNESSE

L’Égypte… Cela fait si longtemps, avec tant de séjours, tant de plongées, tant de reportages… Que raconter qui ne soit pas répétition ? Avouer une fois encore que j’ai son odeur, son goût au plus profond de moi ? Un goût de thé fort et de Sakara ? Un goût de sable ? Raconter… Tiens… La splendeur des couchers de soleil qui recouvrent les monts d’un drap d’Andrinople et font de chaque caillou une pépite ou un diamant. Dire aussi le contraire exceptionnel : la pluie d’orage dévastatrice, les rues embourbées, les toits terrasses effondrés, la mer si marron qu’on la croit perdue… Ou bien, de manière plus personnelle, se remémorer l’épidémie de choléra et sa vaccination de masse. Revoir employés et moniteurs de plongée de l’un des deux ou trois hôtels de l’époque, alignés sous le soleil pour offrir en un sacrifice résigné leurs épaules à un médecin et son infirmière rondelette. Don Quichotte et Sancho Panza du Croissant-Rouge… Préciser l’unique coton (noir), le réservoir du pistolet à vacciner empli d’un liquide douteux. Oser rappeler l’aiguille, intradermique certes, mais inchangée d’une épaule à l’autre… Et mentionner quelques malaises… Sourire en pensant à l’amie américaine (forcément…), hurlant et sprintant, robe écarlate retroussée dans le désert, pour échapper au traitement prophylactique… Revivre la poursuite épique du corps médical, pistolet et bourrelets en avant… Benny Hill avant l’heure ! L’amie avait les cheveux noirs et bouclés, de jolies jambes et courait vite… Ce jour-là, Cupidon visait bien derrière Magawish alors que le SinaÏ demeurait, pourquelques semaines encore, israélien…

Réécrire que, plus tard, j’ai aimé les dizaines de voyages vers nulle part dans les nuits étoilées irréelles, les taxis surchargés, la sueur, les bus improbables, les rives poudreuses de Louxor, les hôtels surannés, l’appel du muezzin, la moiteur des draps froissés, l’énergie des rues et des marchés cairotes, l’âpre douceur des dattes fraîches… Redire encore les cargos illuminés passant Suez et que l’on croit naviguer sur le sable du désert. Raconter les joueurs de jacquet venus d’un autre siècle. Sentir les parfums de poivre et de muscade. Évoquer parmi bien d’autres, Mahfouz, Alaa al-Aswany, l’amour de l’Égypte pour les livres et regretter la francophilie qui s’estompe. Dire le souvenir d’un triste assassinat, moment clé de son histoire ? Et m’interroger, non sans raison, sur les changements constatés ?

Peut-être aller au plus court, faire ce que je m’évertue à faire depuis si longtemps… Écrire simplement tous les instants aussi futiles que vitaux parce qu’ils alimentent notre existence de plongeur : les rencontres avec les mantas, les requins, les bancs d’anthias ou de barracudas, les tortues et les dauphins. Et me persuader que j’ai eu autant de chance de les vivre que celle d’en parler…

CROISIERE-EGYPTE-257-5

RETOUR AUX ORIGINES

L’équipage s’apprête à mouiller pour une première plongée sur Gota Abu Ramada. Abu Ramada… Des plongées avec l’ami Jugel et Goldscheider, des plongées que je raconterai peut-être… L’exceptionnel tombant de la déraison. Le surplomb à 85 et la presque verticale qui s’enfonce bien au-delà, vers les profondeurs de l’immaturité. J’ai vieilli, j’ai compris, j’ai changé et ce changement n’est pas plus mal.

Pourquoi une telle confidence ? Peut-être parce qu’après des centaines de plongées dans toutes les mers du globe, j’en suis arrivé à cet irréfutable constat : la plongée de loisir est un plaisir auquel on accède par l’économie et la modestie, en soignant son équilibre et mesurant ses gestes. Elle n’est certainement pas une activité de matamore et se contrefiche des preuves. Sauf quelques décors exceptionnels, épaves d’une autre époque ou espèces rarissimes, tout ce que j’ai croisé de plus mémorable sous l’eau, et bien… c’était à toucher la surface. Et jamais, ou à de rares exceptions près, je n’ai eu à beaucoup palmer pour m’en approcher. Les années me l’ont appris : je sais désormais que si la mer donne, il est rare qu’elle le donne chichement ou alors dans une fulgurance qui en fait tout le prix…

D’une tape sur l’épaule, Niko le moniteur du bord, m’arrache à mes pensées. Le moment de la première plongée est arrivé. Je m’ébroue sous le poids des souvenirs, celui d’un bi de 4, 8 m3 et le relent entêtant et empoisonné du tabac des Cléopatra… L’air est doux, le vent apporte un parfum de sel. Les plongeurs se regroupent sur le deuxième pont pour le briefing…

Certes, on trouve plus grandiose que Gota Abu Ramada et ses deux tours mais les bateaux sont rares – nous y sommes presque seuls – et la remise en jambe permet d’ajuster son lestage. Et puis, qui vous dit qu’en cherchant un peu sur le sable, entre les patates, vous n’allez pas dénicher un poisson-crocodile ou une raie tranquille ?

Un peu plus tard dans la journée, toujours filant au sud, avant de naviguer de nuit vers les îles Brothers, nous nous immergeons à Panorama reef, au droit de Safaga. La plongée sera pleine de gorgones mais sans beaucoup de poissons…

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 257 Abonnez-vous

Commentaires

Aucune commentaire actuellement

Écrire un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *