IMMERSIONS AU CRÉPUSCULE, DE NUIT OU À L’AURORE. Observations, intérêts biologiques et différences avec la plongée de jour.

le 30/09/2020 publié dans le N°292 de Subaqua
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Jacques Dumas
par Jacques Dumas

Quelles raisons poussent les passionnés de biologie sous-marine dont je fais partie à s’immerger la nuit venue ? Simplement parce qu’une plongée en lumière réduite possède une atmosphère unique, un charme mystérieux, qui en soi, suffisent déjà à notre bonheur. Mais pas seulement : car en plus de cette ambiance particulière, selon le moment, crépuscule, nuit ou aurore, beaucoup de choses sont à observer et à découvrir sur le comportement des espèces. Décortiquons les phénomènes qui affectent la faune marine quand le soleil n’est plus là.
Texte et photos de Jacques Dumas.

La plupart de ces animaux noctambules sont sciaphiles et aiment donc l’obscurité, ce qui les amène, pendant la journée à préférer les grottes, les anfractuosités rocheuses, les surplombs, etc. Mais quelle raison les amène à être actifs la nuit ? Dans le cas des cnidaires probablement parce que le plancton dont ils se nourrissent, remonte du fond la nuit. Oui mais, direz-vous, certains épanouissent pourtant leurs polypes en plein jour. C’est exact, cependant si nous prêtons attention, ces organismes vivent soit profond, soir côté ombragé, soit dans des zones de courant important (car pour se nourrir, les animaux fixés dépendent de l’apport nutritif apporté par les courants).

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Il en est de même quand les coraux ou les gorgones pondent, la préférence sera nocturne afin, cette fois-ci, de moins exposer leurs œufs ou leurs larves aux prédateurs.

Des exceptions sont reportées concernant la ponte des coraux. On parle alors d’asynchronie par opposition au synchronisme, ce qui signifie une perte de synchronisation par rapport aux mouvements planétaires. Par exemple, il m’a été offert, en mer Rouge, d’assister au repas frénétique des demoiselles lors d’un lâcher d’ovules en pleine journée de la part de coraux du genre Acropora. Ce phénomène, selon des études scientifiques, serait le résultat des perturbations du milieu marin par l’homme et pourrait bien conduire à l’extinction de ces espèces…

Le crépuscule

Le moment entre le coucher des espèces diurnes et le lever des espèces nocturnes correspond au crépuscule, période charnière pendant laquelle se croisent toutes ces espèces. Ensuite, l’obscurité s’installe progressivement et c’est une fois établie que l’on pourra parler de nuit et que tous les noctambules de la mer seront sortis de leurs cachettes et auront mis en route leurs activités (prédation, reproduction…). Il convient aux diurnes de trouver une bonne cachette pour dormir voire, pour les plus doués, comme certains perroquets, de se créer une bulle protectrice.

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Un moyen aussi très employé et complémentaire est de changer sa livrée pour des couleurs moins voyantes, plus ternes, en harmonie avec celles du fond sur lequel, par exemple, les poissons de pleine eau vont se poser afin d’essayer de passer inaperçus. Au crépuscule quand le soleil commence à disparaître, vous observerez certainement que l’ambiance devient agitée. On assiste à un chassé-croisé, un peu comme dans une grande ville lorsque les actifs du jour rentrent chez eux alors que les noctambules sortent. En milieu corallien, les poissons diurnes rentrent du large vers le récif afin de se mettre à l’abri pour dormir, alors que les poissons nocturnes sortent de leurs cachettes récifales. Ce moment est alors une opportunité pour les prédateurs diurnes, ainsi qu’un moment de choix pour la reproduction. Prenez le temps d’observer cette phase et vous remarquerez probablement qu’au coucher du soleil les petits planctophages reviennent vers le récif (il leur faut un minimum de lumière pour retrouver leur abri).

Lorsque le soleil baisse les silhouettes des poissons sont mises en évidence, les barracudas opportunistes en profitent pour attaquer leurs proies. Désolé pour les centres de plongée qui amènent les plongeurs en fin de journée sur un site en leur proposant une immersion de nuit. Il ne s’agit pas de nuit, puisqu’il fait encore jour, mais de crépuscule. Pensez à rebaptiser vos publicités ! Sinon prenez le temps d’attendre au moins deux bonnes heures que la nuit soit bien là.

La nuit

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Notez que les activités nocturnes sont très répandues chez les mollusques (gastéropodes et céphalopodes), chez les crustacés (bernard-l’ermite, langoustes, crevettes, crabes), chez les échinodermes (oursins, étoiles de mer…), ainsi que chez nombre de cnidaires. Les plus beaux clichés de cnidaires avec les polypes épanouis sont souvent ceux réalisés de nuit (corail rouge, coraux des récifs, gorgones…). Les changements de livrées de nombreux poissons, notamment de pleine eau, sont, comme souligné, nécessaires car leur brillance habituelle favorable à la lumière serait bien trop repérable sur le fond.

En Méditerranée par exemple, les sars estompent leurs rayures, les mendoles en font de même avec leur tâche caractéristique, les labres changent aussi très souvent de couleurs en adoptant des tons plus pastel. Il est assez surprenant d’observer les sars posés sur le fond la nuit et si vous les éclairez indirectement vous observerez que leurs bandes noires ont quasiment disparu. Si vous les illuminez de plein fouet, elles réapparaissent alors très vite. Pour ce qui est des mollusques gastéropodes, leur vue est assez réduite alors que leur odorat et leur sens tactiles sont très développés et donc adaptés à la prédation de nuit. Ils fuient la lumière le jour, soit en se réfugiant au fond de leur coquille en refermant derrière eux l’entrée grâce à un opercule, ou en se cachant sous une pierre ou dans une anfractuosité rocheuse. Essayez donc en Méditerranée de chercher un ormeau et vous verrez que le seul moyen d’en trouver un est sous une pierre. Dès que vous aurez retourné celle-ci, il y a de fortes chances qu’il se mette en déplacement afin de regagner l’autre face de la pierre alors passée à l’ombre. De nuit, les gastéropodes sortent de leurs cachettes afin de s’attaquer à leurs proies favorites, ce seront les cnidaires, éponges, bryozoaires et tuniciers pour nombre de limaces, tout animal mort (poissons surtout) pour la plupart des gastéropodes à coquilles qui en raffolent. À noter à l’opposé, que les gastéropodes actifs de jour sont pour leur part souvent végétariens.

calmar_JDumas copieQuant à leurs cousins céphalopodes, seiches, calmars, poulpes, s’ils peuvent être actifs le jour ils n’en restent pas moins le plus souvent enfouis dans le sable pour les premiers ou dans un trou pour les derniers. Ce sera donc de nuit que nous les verrons le plus en activité de chasse. La raison majeure de ce comportement est certainement liée à la vulnérabilité de leur corps mou : quand leurs principaux prédateurs dorment la nuit, c’est le moment le plus opportun pour eux de sortir de leurs cachettes protectrices. Et puis également, leurs sens étant très développés, la nuit leur donne un avantage certain pour traquer leurs proies.

Si notre vue n’est pas adaptée à la nuit, celle de certains poissons l’est bien plus.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 292 Abonnez-vous

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