Rencontre avec un ange qui passe

le 30/11/2014 publié dans le N°257 de Subaqua
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Jacques Dumas
par Jacques Dumas

Par un beau matin de mai au large de l’île de Tenerife, accompagné de trois compagnons de plongée tout aussi bardés d’APN et Go Pro que moi, nous glissons le long du mouillage en direction d’une petite épave gisant par une trentaine de mètres de fond. Les eaux bleues canariennes laissent rapidement apparaître l’ombre fantasmagorique qui accapare l’attention de mes coéquipiers, mais pour ma part je n’ai d’yeux que pour le sable environnant, dans le secret espoir d’une rencontre devenue bien rare, celle avec les anges… Mes compagnons du jour me trouvaient déjà quelque peu excentrique, mais de là à rechercher des anges… Un reportage de Jacques Dumas.

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Je feins de m’intéresser à l’épave en donnant quelques coups de flashs de-ci de-là pour éclairer quelques morceaux de tôle rouillée ou les entrailles du navire dans lesquelles quelques poissons trompettes se faufilent. Nous prenons le temps de nous arrêter à la poupe auprès d’un banc d’éperlans qui s’éclate et se reforme au gré des attaques de petites carangues. Mais je n’ai de cesse de scruter les rides de sable blanc des alentours. L’habitat me paraît parfait, de nombreuses soles, lézards, rougets, ne s’y trompent pas. Mais quel est le rapport avec les anges me direz-vous ? Tout simplement que les anges de mer sont des requins plats ressemblant à des raies allongées, si ce n’est que leurs nageoires ne sont pas soudées comme celles des raies. Ils s’enfouissent dans le sable et chassent à l’affût les petits poissons de fond, les mollusques tels les calmars, poulpes, seiches, sépioles, les bivalves et gastéropodes, ainsi que les crustacés, squilles, dromies, crabes divers, et même de petites raies pastenagues. Ces belles étendues de sable sont parfaites pour des embuscades. Vous imaginerez aisément qu’après deux tours d’épave je ne résiste pas à l’envie d’entraîner mes coéquipiers vers les étendues d’apparences désertiques. Bien sûr, heureusement, c’est aussi l’occasion d’occuper mon monde avec les nombreuses soles, vers de feu et autres hôtes spécifiques de ce type d’habitat… Un amas de coquilles attire mon attention et ma suspicion est vite confirmée avec un joli petit poulpe qui nous fait une démonstration de mimétisme en changeant plusieurs fois de couleur afin de nous impressionner. Son prédateur serait-il là ?

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UNE RENCONTRE ESPÉRÉE

C’est au moment où nous regagnons la direction du mouillage, nous déplaçant en rang, que l’un de mes coéquipiers émet un cri de victoire tout en pointant du doigt une masse grise posée au fond. Aucun doute, le voilà, mon ange de mer nous est apparu ! Une grosse tête arrondie, un museau court, deux petits yeux gris et deux évents en arrière de ceux-ci. Il mesure environ 1, 20 m – 1,50 m avec des tâches ou marbrures sur le dos. Déjà un beau spécimen quand on sait que le plus grand observé mesurait 2 mètres 43 pour 80 kg. On n’aperçoit pas les fentes branchiales quand il est posé car elles sont en position ventro-latérales. Une anilocre a élu domicile sur le côté gauche de sa tête afin de lui pomper le sang. Je n’aurais pas imaginé qu’elle puisse percer son armure denticulée et que les anges soient ainsi la cible des vampires…

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Ses grandes nageoires pectorales en forme d’ailes et soudées à la tête expliquent bien son nom d’ange de mer. Son immense bouche est à peine entrouverte, ce qui ne nous permet pas de bien voir ses dents effilées qui lui servent à empaler ses proies. Je me place à quelques dizaines de centimètres de son museau afin de prendre un cliché, je remarque les deux petits replis nasaux avec quelques franges, ses yeux tous plats et à peine entrouverts par une fente noire. Le dessous de son corps semble très blanc, il faut diminuer l’intensité du flash… En m’écartant un peu je constate que sa nageoire caudale est petite avec un lobe inférieur plus long que le supérieur et l’absence de nageoire anale. Sur son pédoncule anal, les deux nageoires dorsales rondes sont basculées sur le côté, ce qui me surprend. En me penchant plus tard sur mes livres j’apprendrai que ces nageoires dorsales rondes sur la partie caudale sont les critères permettant de le classer dans la famille des squatinidés, du latin Squatina pour « ange ». Aristote le connaissait et le croyait capable de prendre la couleur de sa proie. Je me dépêche de prendre mes clichés avant qu’il ne s’enfuie, car très vite il laisse deviner son peu de goût pour les coups de flashs. Il semble placide, voir endormi. Mais ne nous y trompons pas, soudainement le voici qui déploie ses ailes, redresse ses dorsales, décolle du fond et se met à onduler majestueusement en s’éloignant à la force des ondulations de sa queue. Belle occasion de filmer ce beau mâle aux pterygopodes bien visibles. C’est à regret mais emplis d’émotion que nous décidons d’abandonner notre hôte pour regagner la surface avec… 25 minutes de paliers au compteur.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 257 Abonnez-vous

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