Saint-Eustache : le musée englouti

le 30/08/2018 publié dans le N° 280 de Subaqua
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Gérard Soury
par Gérard Soury

Rarement mentionné dans les livres d’histoire, ce modeste caillou d’origine volcanique situé au nord des Antilles a pourtant connu des heures de gloire et de souffrance depuis sa découverte par un certain Christophe Colomb en 1493. Durant les 150 ans qui suivent, l’île change vingt-deux fois de puissance coloniale. Loin de son passé agité, elle est aujourd’hui résolument tournée vers un tourisme raisonné, notamment autour de la plongée sous-marine. Il ne nous en fallait pas plus pour laisser la vieille Europe derrière nous le temps d’un reportage de Gérard Soury.

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Forte d’à peine 3 000 habitants, Saint-Eustache (Statia), appartient aux Pays-Bas caribéens au même titre que les îles de Saba et Bonaire, aussi, est-il surprenant que la langue parlée soit l’anglais et la monnaie, le dollar américain. Qu’importe, au Scubaqua Dive Center, notre club de plongée situé au pied d’Oranjestad (plus petite capitale du monde), on parle français, anglais, néerlandais, espagnol et allemand. Excusez du peu. Dénominateur commun de tout ce petit monde, une passion pour l’île et sa riche histoire dont il est possible de tourner les pages rien qu’en plongeant dans l’immense baie de la côte ouest.

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Fait suffisamment rare pour être souligné, la plupart des sites de plongée sont classés « sites archéologiques protégés » et pourtant, tout peut y être observé, voire manipulé mais toujours replacé dans sa position initiale avec le respect dû aux témoignages du passé. D’ailleurs, les guides de plongée sont autant de gardiens de la mémoire et prennent leur rôle très au sérieux. J’en veux pour preuve une de mes premières immersions au lieu-dit Triple Wreck (Triple épave) où Ingrid et Christelle, mes deux cicérones, m’ont tour à tour déniché une caronade (petit canon de proue) à demi ensablée, une ancre brisée, de magnifiques bouteilles intactes, des pipes d’écume, des fers, des chaînes d’esclaves, des grappins d’abordage, et suffisamment de vaisselle pour équiper tous les restaurants de l’île. J’allais oublier les centaines de briquettes d’argile cuite, utilisées en mer comme lest de cale et, à terre, pour la construction des infrastructures portuaires. Ni plus ni moins qu’un inventaire à la Prévert par dix-huit mètres de fond.

The Golden Island

L’abondance de tous ces artefacts suscite une question immédiate : « Pourquoi autant et avec une telle concentration ? ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, à l’époque de sa « gloire », l’île était réputée pour la culture de la canne à sucre et on y exploitait de nombreux esclaves arrachés à l’Afrique. Cette singularité avait attiré de nombreux marchands notamment anglais, hollandais et français qui, venant s’approvisionner en main-d’œuvre bon marché, avaient fait de Saint-Eustache, une plaque tournante du commerce des esclaves, des armes, du rhum et des marchandises. À cette époque l’île, que l’on surnommait « le rocher doré », comptait 20 000 habitants (à peine 3 000 aujourd’hui) et la baie pouvait abriter plus d’une centaine de navires. Ce commerce interlope prit fin avec l’abolition de l’esclavage en 1863.

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Entre-temps, grâce à son statut officieux d’armurerie des Caraïbes, Saint-Eustache avait largement contribué à l’approvisionnement en armes et munitions des treize colonies d’Amérique du Nord dans leur lutte pour l’indépendance contre le Royaume-Uni. En raison des liens d’amitié avec les Patriots d’Amérique, le 16 novembre 1776, le gouverneur de l’île accueillit l’USS Andrew Doria pourchassé par les Britanniques, un fait d’histoire qui marque la première reconnaissance des États-Unis d’Amérique par un gouvernement étranger.

On ne peut qu’imaginer le grouillement de population concentrée sur la côte ouest, les équipages de toutes nationalités allant et venant au rythme des norias de chaloupes entre navires et entrepôts, les tavernes enfumées, les inévitables altercations entre marins et parfois les abordages sanglants pour la possession de marchandises souvent illicites. Un climat sous tension permanente qui conduisait parfois à l’incendie et au naufrage de navires dont, à l’époque, on ignorait comment récupérer les biens une fois l’épave gisant au fond de la baie.

Trésors sous haute surveillance

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La prospérité de Saint-Eustache s’étant largement dégradée au cours des siècles suivants au profit d’autres îles, les nations s’en sont progressivement désintéressées. C’est finalement ce qui a permis aux richesses archéologiques englouties de n’avoir suscité que peu d’intérêt et d’être pratiquement restées en l’état… Jusqu’à aujourd’hui, où la fondation Stenapa (St Eustatius National Parks Foundation), conduit avec bienveillance l’organisation du Parc national, tant sur terre que sous la mer.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 280 Abonnez-vous

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