Le petit plongeur dans la prairie !

le 02/03/2013 publié dans le N°247 de Subaqua
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Vincent Maran
par Vincent Maran

Les prairies sous-marines sont mises à mal par diverses sources de pollution (notamment chimiques) mais aussi par les ancres des bateaux, le bétonnage de la bande côtière, nos palmes, etc. Et pourtant, les herbiers que nous survolons en plongée mériteraient tellement mieux ! Par Stéphan Jacquet et Vincent Maran. Photographies des auteurs sauf mention contraire.

Incroyables herbiers

C’est en parcourant un article paru pendant l’été 2012 dans la revue Nature Geoscience que nous avons eu l’idée d’écrire cet article à quatre mains sur les herbiers. Pourquoi ? Parce que c’est à la fois de la science, de la biologie, donc un item faisant le trait d’union entre nos rubriques ”bio” et ”scientifique”… !

L’article nous apprend que les herbiers nous protègent du climat ! En effet les herbiers stockeraient deux fois plus de carbone que les forêts par unité de surface (83 000 tonnes de carbone par km2 pour les premiers contre 30 000 pour les secondes).

Incroyable, non ! Quand on sait cela, ne devrait-on pas les protéger, y faire attention, les coucouner partout autour de la planète ? Il faut croire qu’il n’en est rien puisqu’on estime aujourd’hui que c’est un écosystème parmi les plus menacés sur terre avec 29 % de ces herbiers ayant d’ores et déjà disparu. À une époque où on donne de plus en plus de valeur aux écosystèmes et qu’on parle désormais de services (chiffrables) rendus par ces derniers, l’exemple ci-dessus est particulièrement important à l’échelle planétaire.

Plus proche de nous et pour donner un autre exemple, cette fois-ci plus pragmatique, nous savons qu’à la fin de la belle saison les feuilles mortes de posidonies peuvent s’accumuler en banquettes importantes sur les plages. Elles ont un rôle protecteur non négligeable pour protéger celles-ci contre les fortes vagues de l’hiver qui peuvent les dégrader par érosion.

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Les municipalités doivent savoir qu’il ne faut pas ôter des plages ces amoncellements de feuilles mortes, même s’ils peuvent sembler pour certains disgracieux, puis malodorants de par la dégradation de cette matière organique. Et certaines municipalités jouent effectivement le jeu, sur certaines parties de leur littoral (plage du Mouré Rouge à Cannes par exemple). Les deux exemples cités ci-dessus montrent combien les herbiers sont importants.

Ce constat, connu de tous, nous a poussés à vous proposer un petit article sur les herbiers sous-marins, leur diversité, leur rôle, les menaces qui pèsent sur eux et enfin ce que nous, plongeurs, devrions faire ou dire (plus souvent). Ce petit plaidoyer arrive au bon moment nous semble-t-il car, au mois d’octobre 2012, un nouvel article écrit dans la revue Nature Climate Change par des chercheurs espagnols en rajoutait une couche. D’après ces auteurs, l’augmentation des températures enregistrée ces dernières années pourrait avoir raison des herbiers de posidonies en Méditerranée occidentale, et ce bien avant la fin de ce siècle !

  • Alors les herbiers c’est quoi ?

    Ce que l’on nomme ”herbiers” ce sont des surfaces, essentiellement sur fonds meubles, colonisées par des Phanérogames, autrement dit par des ”végétaux supérieurs”. On nomme communément végétaux supérieurs les plantes à fleurs, celles qui sont majoritaires sur les continents. Elles dérivent de très lointains ancêtres qui ont, il y a bien longtemps, quitté le monde aquatique. C’est en effet à l’Ordovicien, il y a plus de 400 millions d’années, que des végétaux chlorophylliens ont réalisé ”leur sortie des eaux” pour conquérir de vastes espaces vierges. Ils sont à l’origine de la foisonnante diversité végétale d’aujourd’hui, surtout représentée par les plantes à fleurs. Les fonds marins sont restés le domaine des algues, organismes chlorophylliens dépourvus de fleurs, mais aussi de tiges ou de racines. Paradoxalement, des centaines de millions d’années plus tard, des plantes à fleurs terrestres d’au moins trois groupes différents sont retournées à la mer. Elles ont acquis des caractéristiques leur permettant de s’adapter au milieu marin, tant pour leur vie végétative — l’ensemble des fonctions courantes — que pour leur vie sexuée. Bref, vous l’aurez compris, il ne s’agit pas d’ ”algues” comme on l’entend encore trop souvent.

  • Des lointains cousins

    Chez nous les plantes qui constituent en Méditerranée les herbiers les plus connus des plongeurs sont les posidonies (Posidonia oceanica). Notre posidonie a pour plus proche parent une espèce… d’Australie ! Elle est donc une espèce ”relique” de la Téthys, ce vaste espace marin ouvert depuis les côtes, de ce qui allait donner l’Europe, jusque dans le Pacifique, à l’époque géologique où la Méditerranée n’était pas encore individualisée comme aujourd’hui. On trouve également sur nos côtes la cymodocée (Cymodocea nodosa), aux feuilles étroites, et les zostères : la zostère marine (Zostera marina) et la zostère naine (Zostera noltii). Ces diverses plantes ont des structures et des modes de vie assez proches, car elles sont soumises aux mêmes contraintes. Si on observe en détail l’une d’elles, la posidonie par exemple, on peut comprendre aisément la biologie des autres ”herbes marines”.

  • L’herbe de Poséidon

    La posidonie est une plante vivace, ses longues feuilles rubanées — elles peuvent atteindre le mètre ! — dépassant la matte qui est souvent extrêmement dense. Celle-ci est constituée par un entrelacs de tiges brunâtres rampantes ou dressées : les rhizomes. À partir d’un rhizome dressé se développent 4 à 8 feuilles qui semblent sortir d’une gaine. La croissance des herbiers de posidonies se fait en gagnant la surface, quand les conditions le permettent, mais aussi en gagnant de l’épaisseur. Un vieil herbier peut donc posséder une matte de plusieurs mètres d’épaisseur (voir encadré page suivante) ! Des fragments de rhizomes transplantés naturellement, ou par l’action de l’Homme, dans un environnement favorable peuvent donner naissance à un nouvel herbier. Il s’agit de reproduction asexuée par bouturage, et c’est le principal mode de reproduction de ce végétal. La reproduction sexuée de la posidonie est très discrète, et d’ailleurs elle ne se déroule pas tous les ans ! Les fleurs portent les deux sexes, elles sont dites ”hermaphrodites”, et sont regroupées par ensemble de 4 à 10 à l’extrémité d’un pédoncule. Souvent elles sont ignorées des plongeurs, car elles ne dépassent guère des feuilles assez resserrées. La fécondation permet la formation d’un fruit ayant l’allure d’une olive. Celui-ci sera emporté par les courants et peut être parfois observé échoué sur une plage.

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Un riche écosystème

Un herbier de posidonies représente un véritable écosystème qui nourrit et abrite une multitude d’animaux. Les oursins violets (Paracentrotus lividus) se nourrissent de ses feuilles tandis que les oursins granuleux (Sphaerechinus granularis) broutent son rhizome. Les saupes de passage croquent régulièrement dans les feuilles et on remarque ensuite facilement les traces de leurs dents. D’autres poissons, notamment des juvéniles, trouvent dans l’épaisseur de cette végétation dense un abri contre les prédateurs.

C’est dans les herbiers que les chances de rencontrer des syngnathes et des hippocampes sont les plus importantes. Certains labridés sont également des habitants très fréquents des herbiers, comme le sublet (Symphodus rostratus). La grande nacre (Pinna nobilis) y trouve domicile. Mais les herbiers abritent également une très grande quantité d’organismes plus discrets. Petits crustacés et mollusques arpentent tous les étages, depuis les rhizomes jusqu’aux extrémités des feuilles. De nombreux hydraires et des bryozoaires — ”animaux-mousses” — sont souvent fixés à différents niveaux des posidonies. Et il y a aussi des anémones de mer, des éponges, des étoiles de mers, des comatules, des vers, des ascidies… La liste serait impressionnante à établir de tous les organismes qui peuplent un herbier de posidonies, souvent décrit comme pouponnière de vie.

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Et pourtant menacés

Parce que limités au plateau continental et dans des eaux dont la profondeur n’excède pas 50 m, les herbiers sont particulièrement exposés à la pollution du littoral, ce réceptacle entre terre et mer qui reçoit malheureusement tout et n’importe quoi, en particulier les eaux drainées par les bassins versants avec tout ce qu’il y a dedans. La liste des menaces est grande mais on pourrait la résumer par grandes catégories.

Les terres agricoles pour commencer qui reçoivent des engrais et qui sont traitées avec divers pesticides, fongicides, herbicides que la terre et les plantes seules ne peuvent complètement absorber et dont une partie est donc entraînée par la pluie vers les cours d’eaux, rivières et fleuves avant d’aboutir à la mer. Il y a le lessivage par les eaux de pluie des surfaces non perméables (parking, routes, trottoirs), qui va drainer divers types de polluants (hydrocarubres, métaux lourds, etc.) jusqu’aux eaux côtières.

L’élevage animalier produit une quantité pharaonique de déchets (les fèces) qui peuvent entraîner des contaminations microbiologiques des eaux et dont on ne sait quasiment rien de l’impact sur la flore et faune sous-marines. Les habitations de bord de plage dont les réseaux d’assainissement sont détériorés se rajoutent aux sources de pollution potentielle et de menaces sur les herbiers. Comme si tout cela ne suffisait pas, il y a aussi tout ce que l’on laisse par terre et que l’on jette sur les plages, bords de plage, sans parler de la batterie de crèmes bronzantes ou protectrices qui vont se diluer dans la mer et impacter les organismes qui s’y trouvent. Citons pour finir cette triste liste les ports qui voient bon nombre de bateaux vider leurs eaux usées sans traitement et puis bien sûr les méfaits humains venant de la mer elle-même avec les dégazages, les rejets d’ordures, les envois d’ancres sur les herbiers déjà mis à mal. Si les menaces citées ci-dessus peuvent toucher les herbiers de manière directe ou indirecte et dont on peut aisément comprendre l’impact négatif, il faut aussi penser à ce que l’on ne voit pas. Il s’agit typiquement de la multitude d’interactions existantes entre les organismes et leur environnement et modifier, perturber ou éliminer ces interactions peut aussi compromettre croissance et développement des herbiers.

Et le plongeur dans tout cela ?

Nous ne sommes pas toujours exemplaires devant mère Nature et notre comportement face aux herbiers en est encore souvent un triste exemple. Ne voit-on pas encore trop souvent nos plongeurs mal équilibrés racler le fond, arrachant ici où là quelques feuilles ? Ne voit-on pas encore bon nombre d’exercices effectués sur les herbiers, quand se déplacer de quelques mètres les préserverait ? Ne voit-on pas encore beaucoup de bateaux de plongée mouiller dans les herbiers et arracher bon nombre de ces plantes à la remontée de leur ancre ?

Au sein de la fédération, la protection de l’environnement est bien réelle mais le constat sur le terrain peut être parfois différent. Une charte spécifique de bonne conduite vis-à-vis des herbiers serait peut-être une solution, surtout quand on sait que certaines espèces (par exemple la posidonie) sont protégées au même titre que la cigale de mer, la grande nacre, le mérou, etc. espèces, elles, qu’il ne nous viendrait pas à l’idée de toucher, tuer, remonter en surface… En attendant une prise de conscience générale, chacun de nous est invité à proposer que les mouillages et les exercices soient réalisés (définitivement) en dehors des herbiers.

Remerciements :

Nous tenons à remercier le professeur Alexandre Meinesz pour sa relecture critique du manuscrit.

Rappel : Chacune des espèces citées ici possède une fiche très complète sur Doris : http://doris.ffessm.fr/accueil.asp

La posidonie peut être considérée comme un bio indicateur pour des indications très précises (propos recueillis auprès du professeur Alexandre Meinesz).

La profondeur atteinte par sa limite inférieure (souvent 35-38 m en Corse et moins de 30 m en Provence Alpes Côte d’Azur) indique la limpidité de l’eau (sa transparence) : plus la lumière pénètre aisément dans la colonne d’eau, plus la limite inférieure est profonde. Par ailleurs, une technique, la lépidochronologie, permet de rétrodater des morceaux de rhizome (tige rampante de la plante) et les bases mortes des feuilles qui persistent autour de ces tiges brunes (Lepido = écailles assimilées aux restes foliaires).

Ainsi, on arrive à sélectionner des fragments de plante d’âge très ancien bien identifié. L’équipe d’Alexandre Meinesz du laboratoire niçois d’Écologie littorale Ecomers a ainsi pu retrouver et évaluer l’importance de traces radioactives laissées par les essais nucléaires dans l’hémisphère Nord (années 1950). Tchernobyl a aussi laissé des traces claires de radioéléments. En fait toute pollution par métaux lourds (mercure, cadmium…) peut ainsi se retrouver et s’évaluer avec l’année où la posidonie a été ”contaminée”. En cela, la posidonie est un précieux indicateur n’ayant pas d’équivalent connu en mer !

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 247 Abonnez-vous

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