NAMIBIE DANS LE TRIANGLE D’OR

le 25/02/2019 publié dans le N°283 de Subaqua
Plongée Namibie
Pierre Constant
par Pierre Constant

La Namibie n’est pas connue pour être une destination de plongée : la mer fraîche et turbide repousse les meilleures volontés. Fausse idée ! Le pays, de formation très ancienne, regorge de gouffres, grottes et dolines. Toutes ces cavités inondées attirent les plongeurs spéléos en quête de nouveaux espaces à explorer. Parmi eux, notre collaborateur Pierre Constant nous livre le fruit de ses dernières explorations. Photos de l’auteur.

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Malgré ses 2 000 km de côtes, qui pourrait imaginer un seul instant que la Namibie est une destination de plongée ? Personne. C’est pourtant la vérité ! Né en Antarctique voici 5 millions d’années, le courant froid de Benguella longe la côte Atlantique du sud au nord, créant un désert côtier, le fameux Namib desert, qui serait le plus vieux au monde ! Les températures marines avoisinent les 13 °C, avec une visibilité quasiment nulle, tant l’eau est brassée et le sable omniprésent. Certes les eaux sont riches en poisson du fait de l’upwelling et 20 espèces y sont exploitées commercialement : hake, monkfish, sole, kingklip, snoek… mais aussi Scomber japonicus le Horse mackerel, sardines, anchois, thon albacore, skipjack, espadon et requins pélagiques. L’aquaculture n’est pas en manque à en juger par la production substantielle d’huîtres à Walvis Bay, Swakopmund et Lüderitz (6 millions d’huîtres par an), les fermes d’ormeaux, de moules et d’agar-agar à Lüderitz, sans oublier les langoustes et les crabes d’eau profonde. Bref, si les conditions sont favorables à la pêche, elles sont résolument néfastes pour le plongeur.

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Une lueur d’espoir s’esquisse cependant, car on a découvert voilà plus de 30 ans, la présence de grottes et de dolines qui évoquent les cénotes mexicains. À l’époque de la colonie allemande (1890-1915), les fermiers du nord-est puisaient l’eau de ces réservoirs naturels à l’aide de pompes électriques afin d’irriguer leurs champs et abreuver le bétail. Voilà 100 000 ans, les San ou Bushmen connaissaient déjà leur existence, puisqu’ils leur donnèrent des noms. Ces trous d’eau ne leur inspiraient pourtant que de la frayeur. La croyance voulant que toute personne tombée dedans ne puisse en sortir vivante !

Une terre très ancienne

Autrefois appelé Süd-West Afrika par les Allemands, le territoire actuel de Namibie est géologiquement parlant une terre très ancienne. Bien avant la création du Gondwana, il y a 540 MA, la Terre était un immense océan d’où émergeaient quelques cratons isolés, que l’on appelle vulgairement l’écorce terrestre originelle. À l’origine, voilà 2 500 MA, l’Afrique méridionale était composée de deux cratons : le craton du Congo au nord et le craton du Kalahari au sud, séparés par un bras de mer orienté sud-ouest nord-est, appelé Damara Sea. Des dépôts sédimentaires furent générés, bien avant la collision du craton du Kalahari avec celui du Congo, et la subduction du premier sous le second. Il y a quelque 300 MA, la Namibie était située près du pôle Sud et fut affectée par des glaciations considérables. Celles-ci prirent fin il y a 280 MA, lorsque le continent se sépara de l’Antarctique.

Les récifs calcaires constitués dans la Damara Sea (750 MA), n’étaient pas du corail, mais sécrétés par des cyanobactéries connues sous le nom de stromatolithes. Ces algues encroûtantes sont les plus vieilles formes de vie sur terre (3 500 MA). Déposés sur une période de 100 millions d’années, ces sédiments créèrent une couche de dolomite épaisse de 5 000 mètres. Époustouflant ! L’érosion intense qui s’ensuivit sur 500 MA et pendant les phases climatiques humides du Crétacé et du Tertiaire, amena la dissolution des carbonates, processus connu sous le nom de karstification. Le calcaire (CaCo3) et la dolomite CaMg (CO3)2) sont érodés par une solution carbonique acide directement liée à la pluie.

Le triangle magique

AIG_5Il se situe dans la région des monts Otavi, entre les localités de Tsumeb, Grootfontein et Otavi. Pas moins de 83 grottes, gouffres ou dolines ont été répertoriés depuis 1974 et un certain nombre a été exploré par des spéléologues avertis dès 1967. À l’occasion de l’un de mes nombreux voyages en Namibie depuis 1992, étant moi-même plongeur en grottes depuis l’an 2000, je décidais d’en avoir le cœur net. Un matin du 1er avril, accompagné par mon client japonais et ami Tetsuaki Masuda, nous débarquons à la ferme Aigamas. Tout droit sorti du film « Out of Africa », Axel Bauer, le colon allemand propriétaire des lieux, nous reçoit cordialement. Chris et Steff, la fine équipe de plongeurs tek namibiens, nous y attendent déjà. Ils seront chargés de la logistique et de la sécurité en plongée, pendant notre séjour d’exploration.

Nom local d’origine Herero, Aigamas signifie big water ou les grandes eaux. L’accès ne paie pas de mine. Une grotte, en forme de tente tipi, s’enfonce dans une paroi calcaire à la base d’une crête rocheuse, au cœur du bush. Un tunnel de 120 mètres de long s’évanouit dans le noir. La pente graduelle est facilitée en partie par un escalier métallique, puis se poursuit sur des rochers glissants, couverts de débris, jusqu’à la plateforme profonde. Une grille métallique d’où descend une échelle en fer. Le niveau de l’eau est à 5 m plus bas.

« L’exploration et une tentative de cartographie ont été menées par une équipe suisse-italienne-namibienne en 2011-2012 », explique Axel, carte sur table. Dirigé par Gérald Favre de la Société Spéléologique Genevoise, le survey fut réalisé par Alessio Fileccia (Italie).
La profondeur maximale atteinte en plongée fut alors de 93 m, « Mais le fond reste introuvable ! », conclut Axel. Fracture étroite et verticale, Aigamas Cave est orientée nord-sud et sombre comme un abîme sans fond.

Le poisson-chat cavernicole

Ma quête est motivée aujourd’hui par la rencontre avec un poisson d’avril ! Ce n’est pas une blague. Fort heureusement, nous l’avons trouvé. Endémique au lieu, Clarias cavernicola, ou cave catfish, est un poisson-chat cavernicole. Espèce éminemment curieuse qui se croise à la surface de l’eau essentiellement, où les spécimens coprophages se nourrissent du guano de chauve-souris qui tombe de la voûte.

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A priori aveugle, le poisson mesure de 16 à 25 cm de long. Il est de couleur jaune soufre à pâle avec deux petits yeux bleu turquoise en tête d’épingle. Il possède une longue nageoire dorsale et une longue nageoire anale, deux petites pelviennes, deux pectorales. La queue est droite et courte. Des chevrons caractéristiques apparaissent tout au long du corps. La tête osseuse a une forme de casque à trois pointes, qui se profilent vers l’arrière, couvrant la nuque et les côtés. Chez certains individus, une atrophie des yeux est apparente, ces derniers devenant globuleux et opaques. Les 8 barbillons disposés de part et d’autre de la gueule, permettent au poisson-chat de se repérer et de détecter sa nourriture. Le cave catfish se déplace en ondulant latéralement comme un serpent. On aurait observé une attitude parfois cannibale des plus gros sur les plus jeunes…

Je sonde à une profondeur de 37 mètres. À vue d’œil la fissure ne fait pas plus de 2 mètres de large. La température de l’eau est exquise à 25 °C. Nombre de cadavres de chauve-souris gisent sous l’eau sur des margelles de la paroi. L’ancêtre de ce poisson-chat serait originaire du fleuve Kunene, frontière avec l’Angola ou même de l’Okavango. Voilà 3 MA, le fleuve Kunene se déversait dans l’immense lac d’Etosha, lui-même au sein du bassin d’Ovambo, bien avant le dessèchement du premier.

À quelque vingt minutes en voiture au nord de Tsumeb, Otjikoto Lake est un site historique. Il dépend du National Heritage Council of Namibia (NHC), un organisme gouvernemental qui régit la recherche et l’archéologie. Une autorisation de plongée est par conséquent nécessaire. Délivrée par la Namibia Underwater Federation, elle est soumise à l’approbation du NHC, qui contrôle toute activité subaquatique à Otjikoto. Après avoir montré notre permis et payé les N$25 de droit d’entrée, nous sommes les bienvenus.

Dérivé de la langue Otjiherero, le nom d’Otjikoto signifie « un trou trop profond pour que le bétail y puisse boire ». Les San appelèrent l’endroit Gaïsis, ce qui veut dire très laid, car il leur inspirait la frousse. Avant l’arrivée des premiers Européens le site était un comptoir d’échanges commerciaux. Les collines alentour furent gardées par des hommes en armes, pour empêcher toute tentative d’exploiter le minerai de cuivre. Otjikoto fut découvert par les explorateurs Francis Galton et Charles Anderson, en mai 1851. Pour les géologues, Ojtikoto est une grotte dolomitique, une doline parfaitement circulaire dans le relief karstique du Damara Belt. En forme de calebasse, le lac a un diamètre de 102 mètres et une surface de 7 075 m2. Si la profondeur au centre a été évaluée à 71 mètres, la profondeur maximale sur les côtés dépasse les 145 m et demeure à ce jour inconnue.

« Come on, I’ll show you the dive plan », lance Chris, alors que nous approchons le bord de la falaise pour mieux apprécier le paysage. « L’idée de la première plongée sera The Reef, plongée d’acclimatation à 40 mètres… » Équipés d’un bloc acier de 15 litres, nous accédons à l’eau par un petit escalier métallique. « Le niveau de l’eau n’a jamais été aussi haut depuis les précipitations importantes de l’an dernier… », commente Steff. En palmage sur le dos nous traversons le lac pour arriver à l’aplomb du Reef. Une bouée et une chaîne ancrée au fond servent de guide pour une descente verticale à 40 mètres.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 283 Abonnez-vous

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