Clichés sub’nocturnes à Nouméa

le 02/07/2013 publié dans le N°249 de Subaqua
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Pierre Larue
par Pierre Pierre Larue

La baie des Citrons offre aux amateurs d’images subaquatiques de Nouvelle-Calédonie, un terrain de jeux singulier situé en pleine ville. Suivons un groupe de passionnés, venus pour photographier la faune sous-marine nocturne à seulement quelques dizaines de mètres des néons de Nouméa by night. Texte, Pierre Larue. Photos : Julien Barrault, Jack Berthomier, Pierre Larue, Matthieu Juncker, Hugues Lemonnier, Yves Gillet et Laurent Seveau.

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19 h 30, Nouméa Baie des Citrons. Matthieu, une pointure de la prise de vues sous-marines et cinq de ses compagnons, s’équipent sur le trottoir de la promenade du bord de mer de la capitale pour une plongée photos. Leur matériel va du simple compact jusqu’au performant reflex grand format doté de plusieurs flashs.

Tous gréent un détendeur sur leur bouteille d’air comprimé sauf Jack, seul apnéiste du groupe. Ce natif du Caillou, pêcheur sous-marin de haut niveau pendant 30 ans, s’est aujourd’hui reconverti à la macrophotographie animalière sous-marine.

Sa parfaite connaissance du lagon lui donne un atout indéniable pour repérer et approcher une faune aussi étonnante que diverse. En seulement deux années, il a constitué sur ce thème une banque d’images exceptionnelles tant en qualité qu’en quantité.

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Matthieu, Hugues, Yves, Laurent, Julien et Jack, se regroupent au milieu de la baie, de l’eau jusqu’à la taille, pour contrôler le bon fonctionnement de leurs matériels de prises de vues : boîtier, flash et projecteur. Ils utilisent tous un objectif macro. Après un court briefing, chacun palme en direction du secteur de son choix. À terre, Marie Barrault, solitaire ”Pénélope”, les yeux fixés sur les halos de lumière, assure la sécurité surface. La pratique de l’image sous-marine est un exercice de patience et de discrétion, a fortiori pour l’animalier.

 

Jack Berthomier muni d’un compact ultrabasique mais performant Canon Ixus 870 IS sans flash externe, se dirige vers la prise d’eau de l’Aquarium des lagons. Léger, il se déplace silencieusement en ”balayant” méthodiquement du pinceau de son projecteur, une petite paroi corallienne.

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Son rayon de lumière s’immobilise sur un poisson-perroquet assoupi, s’abandonnant à un déparasitage en règle par toute la gamme ”d’outils” agiles d’une crevette bariolée. Il photographie un gros murex, Murex ramosus, situé à l’extrémité de la trace baveuse laissée par son mucus pendant son déplacement.

Il accroche dans son faisceau une limace de mer en vadrouille. Maquillé comme une voiture volée, la robe outrageusement colorée, ce nudibranche prévient les éventuels prédateurs du danger mortel qu’ils courraient à le consommer.

À chacune de ses apnées, le photographe se rapproche des anfractuosités pour ausculter attentivement les moindres recoins. Judicieusement lesté, il se pose sur le fond, face à une femelle de crabe batailleur Portunus pelagicus. Éclair du flash : c’est dans la boîte !

  • Yves Gillet utilise un boîtier pour Nikon D70S équipé d’un objectif 60 mm macro et deux flashs Ikelite DS160

    Il explore le fond sous un des radeaux, terrain de jeux des jeunes baigneurs sautant joyeusement à longueur de journée en cette période encore estivale. En pleine nuit l’ambiance est tout autre : calme, feutrée.

    Sur une algue s’épanouit une colonie de six nudibranches vert pomme Costaciella sp à divers stades de croissance allant de quelques millimètres à un centimètre. Il capte dans la lumière de son phare une forme immobile, cubique, grise à points bleus, deux cornes longues et fines… un poisson vache Lactoria cornuta avec une crevette commensale transparente periclimenes magnificus sur le dos !

    Commence une pixellisation en règle de cette espèce de poisson coffre. Ébloui par le phare ou attiré par les reflets de son hublot, il vient à plusieurs reprises se coller à lui les cornes en avant… Chargé par un poisson vache à la baie des Citrons, il ne manquerait plus que cela ! 


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Hugues Lemonnier Coolpix, P 6 000 en main, traque les crustacés aux mœurs essentiellement nocturnes. Il commence avec une crevette rarissime Phyllognathia ceraphthalma posée sur une holothurie. Il tire le portrait d’un pagure bernard-l’ermite Dardanus megistos puis d’un crabe araignée Picrocerus armatus habillé d’organismes vivants pour mieux se camoufler. Il termine par le cliché d’un poisson clown, Amphiprion clarkii, réfugié dans une anémone en compagnie d’une crevette commensale periclimenes magnificus.

Julien Barrault opère avec un boîtier pour Canon 5D II + MPE 65 mm au rapport 2,5 X + 2 Inon Z 240, délicat à utiliser. Ce soir, il galère à trouver des sujets méritant d’être immortalisés.

  • Matthieu Juncker équipé d’un boîtier pour Nikon D 700 avec un 60 mm macro et deux flashs Ikelite DS 125

    Il scrute l’apparent désert sablonneux. Sur un Actinodendron appelé ici communément ”chou fleur”, une crevette transparente periclimenes magnificus, insensible aux cellules urticantes mérite un portrait soigné.

    Il cadre ensuite une merveille de la nature : un coquillage gastéropode Hydatina physis zébré, au manteau crème entièrement déployé, bordé d’un liseré bleu électrique.

    Enfin, il se concentre sur un poisson serpent Pisodonophis boro en embuscade. Enfoui verticalement dans son terrier, les pupilles dilatées, ce farouche et malicieux prédateur nocturne laisse juste pointer sa tête pour brusquement fondre, mâchoire grande ouverte, sur les petits crustacés et poissons en maraude. 

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Laurent Seveau, fidèle au matériel basique Lumix Panasonic TZ10 avec flash intégré, enregistre une éclectique moisson d’images : poisson papillon, coffre, hippocampe et plus encore.

À plat ventre, il cadre avec soin une plume de mer appelée pénatule. Plantée verticalement dans le sable, équipée de deux rampes de polypes, elle capte pour se nourrir le macroplancton pullulant toute la nuit.

Enfin, il réalise le cliché exceptionnel d’un petit calmar en pleine eau, véritable joyau vivant aux coloris improbables par le jeu continu et changeant de ses chromatophores.

Je laisse Laurent conclure : ”on pourrait comparer le monde de la nuit des hommes, (le secteur de la baie des Citrons en est un parfait exemple), et le monde sous-marin nocturne de cette même baie : faune étrange, comportements différents, décalage spatio-temporel ; alors que sur terre une soirée ordinaire bat son plein, sous l’eau la jungle se réveille !

Paradoxal, le moment où l’on refait surface pour faire un point géographique de notre position ; où l’on voit les néons de cette Babylone, les voitures qui vrombissent, entendons le tintamarre des boîtes de nuit, avant de replonger dans l’eau noire éclairée de notre seule torche. Avec un champ de vision réduit au faisceau de la lampe, nous avançons à petits coups de palmes à la découverte d’un monde qui vit sa vie dans l’indifférence totale de nos turpitudes de bipèdes.

Être sous l’eau, et particulièrement la nuit, c’est être ailleurs, un ailleurs si proche. Les tour-opérateurs appellent cela le dépaysement.

 

Bibliographie

  • Poissons de Nouvelle-Calédonie” par Pierre Laboute et René Grandperrin. Éditions Catherine Ledru.
  • Lagons et Récifs de Nouvelle-Calédonie” par Pierre Laboute et Bertrand Richer de Forges. Éditions Catherine Ledru.
  • Guide des nudibranches de Nouvelle-Calédonie et autres opisthobranches” par Jean-François Hervé. Éditions Catherine Ledru.

 

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 249 Abonnez-vous

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