Excitations noctures

le 02/07/2013 publié dans le N°249 de Subaqua
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Vincent Maran
par Vincent Maran

Doris m’a dit que lors de plongées de nuit, j’avais de bonnes chances d’en mettre plein les yeux autour de moi en provoquant de spectaculaires excitations lumineuses et colorées… grâce à une lampe à UV !

Parmi les sujets les plus récurrents qui reviennent sur le Forum de DORIS, il y a celui de la fluorescence des organismes marins. Elle surprend, elle intrigue, et amène toujours à des questions aussi légitimes que délicates à traiter parfois pour certains de leurs aspects.

Depuis quelque temps, il est devenu de plus en plus facile de se procurer des diodes ou des lampes étanches. De ce fait, il n’est plus exceptionnel maintenant, surtout parmi les plongeurs curieux de biologie, de croiser en plongée de nuit une palanquée dont un membre au moins est muni d’un tel éclairage.C’est bien sûr en mers tropicales que l’utilisation d’une lampe à UV se révèle la plus attractive.

Par ailleurs, les caractéristiques proposées par l’utilisation des appareils de photo numériques (visualisation immédiate des clichés, changement de la sensibilité d’une prise de vue à l’autre…), facilitent grandement les possibilités de photographie des organismes en fluorescence. D’autres phénomènes lumineux en relation avec le monde vivant amènent souvent également les plongeurs curieux de nature à se poser bien des questions.

Que les lumières soient !

Dès que le sujet de l’émission de lumière par les organismes marins est abordé, il apparaît que de nombreuses confusions perturbent les esprits sur des points fondamentaux.

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  • La bioluminescence

    En premier lieu, la bioluminescence est à considérer de manière bien séparée. Les êtres vivants bioluminescents ont en effet la propriété de créer une source de lumière grâce à un processus biochimique bien particulier : l’action d’une enzyme, la luciférase, sur une protéine : la luciférine.

    C’est ainsi que certains organismes planctoniques, tels les noctiluques, créent autour de nous, à cause de notre agitation dans l’eau, de superbes essaims de points lumineux durant nos plongées de nuit.

    Chez une famille de poissons, dont une espèce se rencontre assez facilement en mer Rouge : le poisson phare (Photoblepharon steinitzi), un phénomène lumineux bien particulier peut être observé. Sous l’œil de ce petit poisson de teinte sombre se trouve une poche en forme de demi-lune contenant des bactéries bioluminescentes. Cette poche peut être masquée par des écailles mobiles.

    En fonction des signaux qu’ils doivent émettre, les poissons phares masquent et démasquent cet organe bioluminescent, et ces taches de lumière que l’on voit clignoter en se déplaçant dans l’élément liquide ont évidemment de quoi exciter la curiosité des plongeurs qui croisent leur chemin durant les plongées de nuit.

  • La phosphorescence

    Un autre processus physico-chimique est souvent confondu avec la fluorescence, il s’agit de la phosphorescence. Elle n’est pas fréquente sur la terre ferme, et nous ne l’observons jamais autour de nous durant nos plongées, hormis sur nos instruments !

    La phosphorescence est la propriété qu’ont certains corps de réémettre de la lumière, durant parfois un assez long moment après avoir été éclairés eux-mêmes. Cette caractéristique, qui repose essentiellement sur les propriétés chimiques de certaines molécules, donne une lumière verdâtre très utile pour lire dans l’obscurité les indications de certains cadrans, à commencer par ceux de nos montres.

    Le processus de fluorescence repose également sur un phénomène de réémission de lumière, mais cette réémission est immédiate ; elle cesse aussitôt que s’arrête l’éclairement du sujet fluorescent. Dans le noir absolu, sans apport de lumière externe, aucune fluorescence ne peut donc être observée.

    Cette propriété repose sur des caractéristiques particulières de certaines molécules qui peuvent appartenir au monde inerte comme au monde des êtres vivants. En quelques mots rapides, on peut dire que la réception par une molécule fluorescente, de certaines longueurs d’ondes qui appartiennent à la lumière visible pour nous, ou qui nous est invisible (UV…) provoque un changement d’état de cette molécule.

    Elle se trouve alors dans un état ”excité” qui ne durera qu’un bref instant, car rapidement la molécule émettra un photon – une particule de lumière – qui lui permettra de retrouver son état de repos d’origine. Tous ces photons, émis par un objet ou un organisme qui possède un grand nombre de ces molécules bien particulières, seront à l’origine de la lumière fluorescente qui parviendra à nos yeux. Ces photons, issus de molécules identiques, possèdent donc tous les mêmes particularités, notamment leur longueur d’onde, qui caractérise chacune des couleurs que nous percevons.

    De ce fait, ce type de lumière nous apparaît avec une teinte ”fluo” qui est bien originale par rapport aux autres teintes que nous connaissons dans notre environnement, et c’est donc pour cela qu’elle nous apparaît si singulière.

    Les couleurs ”classiques”, qui nous sont plus familières, proviennent de corps qui réfléchissent simplement les longueurs d’ondes des couleurs qu’ils n’ont pas absorbées. Celles-ci sont en général constituées d’une certaine variété de longueurs d’ondes et de ce fait elles ne présentent pas le même aspect que les couleurs fluorescentes.

    Ce processus de fluorescence existe pour un certain nombre de molécules différentes, ayant chacune leurs caractéristiques, et notamment la longueur d’onde des photons réémis. C’est donc pour cela qu’il existe toute une palette de couleurs fluorescentes, tant dans le monde inerte que dans le monde des êtres vivants.

La fluo sous l’eau

Durant nos plongées, nous pouvons rencontrer un certain nombre d’organismes dont la fluorescence est plus ou moins remarquable.

Pour être exact, il faut préciser que contrairement à ce que l’on peut croire parfois, la fluorescence peut aussi être observée le jour, et non seulement la nuit. Elle sera peut-être moins spectaculaire par rapport à ce qui peut être vu de nuit avec une lampe UV, mais elle se remarque néanmoins.

Les rayonnements du soleil peuvent en effet entraîner des processus de fluorescence, notamment chez certaines anémones de mer ou chez des cérianthes. Pourquoi certains individus et pas d’autres ? La question reste souvent sans réponse…

L’observation et la photographie nocturnes des organismes fluorescents peuvent se réaliser avec des moyens techniques plus ou moins élaborés. Développer les diverses techniques nous amènerait à des considérations assez pointues et hors du cadre envisagé ici.

En quelques mots toutefois, on peut dire que l’utilisation de certains filtres de couleurs, au niveau des sources de lumière ou au niveau de la réception de la lumière qui nous parvient des êtres vivants, peut nous permettre de parvenir à une qualité plus ou moins fine dans l’observation ou la prise de vues de phénomènes de fluorescence.

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Pour celui qui préfère des solutions simples et abordables, une lampe à UV toute simple utilisée en plongée de nuit permet déjà des observations très originales, et pleines de surprises parfois, car les anémones de mer et les coraux ne sont pas les seuls organismes doués de fluorescence.

Les vers de feu par exemple, particulièrement fréquents dans les Caraïbes, offrent au regard des plongeurs de magnifiques teintes sous la lumière des UV. Leur tégument doit posséder des propriétés physiques permettant ces caractéristiques.

Ce sont toutefois les coraux durs, nommés également madréporaires, ou de manière biologiquement plus exacte scléractiniaires, qui offrent le plus de possibilités d’observations du phénomène de fluorescence. Par leur nombre, et par la variété de leurs formes et de leurs teintes, ils permettent une belle diversité d’observations et de prises de vues pour les photographes.

Il y a un côté ”pochette-surprise”, en plongée de nuit avec une lampe à UV, à voir surgir dans l’obscurité un massif de corail qui réémet des teintes aussi vives que singulières.

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Côte à côte, on peut souvent observer différentes espèces ayant chacune leurs propres caractéristiques de fluorescence. Cela ne manque pas de nous amener à envisager un certain nombre de questions sur les éventuels avantages biologiques qu’il peut y avoir pour ces organismes à être doués de fluorescence, tant il y a d’espèces ayant cette possibilité.

Il faut tout d’abord distinguer l’origine de la fluorescence. Dans certains cas, elle peut provenir des micro-algues qui vivent en symbiose – c’est-à-dire en association – avec les polypes du corail. Ces micro-algues sont quasi indispensables à la construction du squelette calcaire des coraux et jouent également un rôle important dans leur nutrition.

Le plus souvent, la fluorescence est due à des protéines pigments qui proviennent bien du corail lui-même. Les biologistes ont effectué des recherches pour comprendre les rôles possibles de ces pigments. Selon les caractéristiques de milieu de vie des coraux, plusieurs rôles possibles sont mis en évidence par les chercheurs.

Tout d’abord, et notamment pour les espèces qui vivent à faible profondeur, les protéines pigments pourraient avoir un rôle photoprotecteur. En effet, certaines des radiations solaires sont nocives pour les coraux. Les pigments fluorescents auraient donc pour rôle de capter ces radiations, ce qui protégerait les cellules du corail.

Pour les espèces de coraux vivant à plus grande profondeur, là où la lumière parvient de manière bien moins abondante, les pigments fluorescents auraient pour rôle, en convertissant les radiations reçues, d’augmenter la proportion des radiations de longueurs d’ondes nécessaires à la photosynthèse des algues symbiotiques du corail.

Il s’agirait donc d’un dispositif d’amplification de la lumière utile, mis au point bien avant ceux qui sont utilisés par les militaires, et pour un but bien plus pacifique.

Le fluo, ce n’est pas seulement beau, c’est donc aussi utile !

Pour une prochaine plongée de nuit en mer tropicale, équipez-vous d’une lampe fluo : avec des moyens assez modestes, vous pourrez en faire voir de toutes les couleurs autour de vous !

Sur le site Doris (doris.ffessm.fr), vous trouverez des informations au sujet de la bioluminescence et de la fluorescence des organismes marins sur un certain nombre de fiches espèces déjà en ligne.

Remerciements très chaleureux à Patrick Scaps, pour la mine d’informations qu’il a mises à ma disposition sur les organismes fluorescents, ainsi qu’à Michel Barrabes pour ses conseils et ses superbes photos. Au sujet de la photo en lumière fluorescente, vous trouverez des galeries et des infos en mettant dans votre moteur de recherche préféré les noms de Paul-Henri Adoardi ou de John Rander, parmi d’autres, que je suis au regret de ne pas pouvoir tous citer…

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 249 Abonnez-vous

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