HS-3
Édité par les Éditions Arc-en-Ciel pour le compte de Subaqua, revue de la FFESSM. Format 170 x 240 – 240 pages + 4 pages de couverture
Hors-Série
N°3

À la découverte de l’archéologie sous-marine

Un ouvrage d’Anne et Jean-Pierre Joncheray
Prix public : 27€
Pierre Martin-Razi
par Pierre Martin-Razi

Rien n’a autant de force suggestive que l’archéologie subaquatique. Rien… Un empilement de bols, un alignement d’amphores, quelques restes de bois, des bordés devinés, une pièce de bronze, un bloc de verre, un jas de pierre, des tuiles ou une poignée de clous mangés par la rouille … Deux ou trois objets et le souffle du plongeur s’accélère, son imagination s’emballe … Il voit une ancre qui dérape, un navire donner de la bande sous un ciel sans nuage. Le vent souffle, les embruns volent, les étoiles scintillent comme caressées par le mistral redoublant. Des hommes d’un autre temps s’agitent. Ils poussent sur des avirons impuissants, hurlent dans une langue aux sonorités oubliées. Le récif approche, les vagues brisent, le vacarme devient cacophonie. On mouille la dernière ancre, deux clefs serrées sur l’étrave proéminente. Le câblot se tend, les fibres végétales se tordent, souffrent. La vie des marins, maintenant, demeure entre les mains des dieux ou, plus prosaiquement, celles d’une vase sournoise … Les pattes de l’ancre y ont plongé sans mal, la tenue est mauvaise. Le vieux capitaine, celui en qui les commerçants du Pirée, d’Ostie ou de Césarée ont toute confiance, pose la main sur le câblot, le sent frémir, tressauter. .. Maintenant, le marin sait. Les divinités tutélaires sont sans pitié : son ancre chasse, inutile. Il donne un ordre ultime. Un premier choc, léger, presque insignifiant dans le bruit des brisants. Un deuxième, plus violent, un troisième enfin, terrible, assassin. Le bateau se soulève comme poussé par un poing gigantesque, il grimpe sur la roche acérée, le bois plie, le gréement bat, un mât se brise. Étonnamment, le bateau se retrouve en eaux libres, presque calmes. Des hommes sautent pour rejoindre la grève en brasses maladroites, d’autres pompent et écopent, se battent encore en des efforts inutiles. Le bateau s’enfonce lentement, l’eau affleure son liston. Soudain, il se couche, vaincu par le vent et par le malheur. Un dernier râle et c’est le silence: trois morceaux de bois dédaignés par la mâchoire des vagues flottent encore, à peine éclairés par le soleil du petit matin. Pour le bateau, trente mètres plus bas, un long, un très long sommeil commence…

Deux mille ans plus tard, un couple se serre dans l’étroit poste de pilotage. La vedette blanche assure un parfait quadrillage poussée par un diesel tout juste accéléré. Sans prévenir, face au pilote, l’écran du sondeur révèle un tumulus sur un fond de platitude uniforme. La femme lâche un bobineau dont le fil lesté va, très vite, toucher les profondeurs. Le bateau s’immobilise, le guindeau tourne, le pavillon bleu et blanc se déploie, à peine soulevé par la brise de terre. Sans perdre de temps, à force d’habitude, on grée les scaphandres, se glisse dans des combinaisons. Lune d’elle, une vieille Pie!, constitue à elle seule un musée des antiquités… On l’aura deviné : nous sommes sur le bateau d’Anne et Jean-Pierre Joncheray quelque part entre Menton et Saint-Raphaël…

Ils se glissent dans une eau claire, nous aussi. L’épave est devant eux, virginale, à peine masquée par le sable et la vase. Un poulpe rampe hors d’un col brisé. Premiers clichés. Plus tard, avec leurs collègues, ils vont mesurer, relever, comparer, photographier, quadriller… Ils vont s’inquiéter de l’insignifiant, s’arrêter sur l’ordinaire, se complaire dans la banalité du quotidien de jadis. Ils vont aussi s’émerveiller du beau. Des morceaux de terre cuite, des restes de bois, des indices fragiles. Des trésors sans valeurs. Des trésors inestimables. Ils vont le faire dans les règles de l’art, guidés par la passion autant que par les années d’expérience : c’est le modeste prix à payer pour la résurrection des hommes qui ont conduit les navires, des charpentiers qui les ont construits, des marchands qui les ont financés. De ces indices recoupés vont naître des théories sur le commerce des peuples, leurs manières de vivre et, bien plus importantes encore, celles de penser. Les plongées des archéologues sont aussi longues que passionnantes. En leur compagnie, la nôtre va durer deux cent quarante-quatre pages. Elle va nous faire voyager, les siècles vont défiler et aboutir à aujourd’hui pour, enfin, nous rattacher à la grande aventure des hommes. En refermant le livre, on saura. Un peu. Nos doigts exhaleront l’odeur forte du garum et nous aurons, sur la langue, le goût acre du vin résiné. On rêvera, peut-être, à de belles Crétoises … La vocation des hors-séries Subaqua, publiés par la Fédération française d’études et de sports sous-marins, consiste à dresser un modeste état des connaissances nécessaires à une pratique intelligente de notre passion. Nous avons entière confiance en Anne, Jean-Pierre et leurs collègues pour nous livrer, à leur tour et dans un domaine qu’ils maîtrisent si bien, un travail qui fera date.

Pierre Martin-Razi
Rédacteur en chef

13 • Quelques dates utiles

17 • Un navire naît

Pirogues monoxyles et embarcations protohistoriques / Il était … un navire antique : Construction navale antique et essence des bois / Du navire du Moyen Âge au navire moderne / Le navire contemporain : les navires à vapeur « pour les nuls » …

31 • Organisation des grandes voies maritimes commerciales

-Dans l’Antiquité : Les phares – Les conditions de !a navigation en Méditerranée / Le Moyen Âge : Un commerce réduit, des conflits Chrétienté-Islam / L’Époque moderne : Le commerce reprend, les grandes batailles se succèdent / De nos jours : Un trafic à l’échelle mondiale

51 • Des bateaux aux épaves

Deux mille ans plus tard : la lente évolution de l’épave en bois / L’évolution des épaves en fer: une lente dégradation

57 • La découverte

Comment trouver l’épave? Techniques de recherches : Marine à voile, bateaux en bois – Époque contemporaine, bateaux en fer – L’incontournable GPS – Un peu de cartographie – Les épaves des côtes de France, CD du SHOM

65 • Portraits d’épaves

Un gisement de l’Âge du Bronze : Les Roches longues / Grecs et Étrusques en Méditerranée / Ille siècle: du verre bleu aux Sanguinaires / Où il est question de scaphandriers sur une épave du IP siècle / Madhia: une cargaison d’oeuvres d’art du 1er siècle avant notre ère / Une épave gauloise profonde : roches d’Aurelle / Chrétienne!, une présence ibérique au début de l’Empire / Bas Empire: Héliopolis et les amphores de Sullecthum / Les Sarrasins en Provence : Agay, Batéguier / Les Ardoises, un caboteur ligure de la fin du XVIe siècle / XVIe siècle aux Sardinaux: les bols de l’Évêque / Au mouillage de l’Amirauté, un grand vaisseau du XVIIle siècle / La Madone d’Hydra, un fait d’armes sous la Révolution / Un témoignage du commerce de pacotille au début du XIXe siècle / Le Ville de Grasse ou les débuts de la vapeur / Le Quevilly, dernier des pétroliers à voile français / Un cimetière d’épaves : Saint-Pierre de la Martinique / L’Alose, le sous-marin qui regardait la surface / L’hydravion Latécoère 550 H: toute une époque ! / De Maire à Cassidaigne / Le mystère du P-38 Lockheed Lighming d’Antoine de Saint-Exupéry / La Combattante qui ramena le général De Gaulle en France libérée

117 • Le travail des archéologues

Un chantier, un travail d’équipe : En première ligne, les manœuvres – Et leur matériel – Le topographe – Le photographe – Le parachutiste – La dendrochronologie – Restaurer, conserver – La muséographie – L’Archéonaute

137 • Un cas très particulier

L’archéologie profonde / Quelques épaves profondes / Le futur de l’archéologie sous-marine profonde

146 • Les objets découverts

Apparaux et accessoires du navire : Ancres et jas d’ancres – Pompes de cale – Objets de la vie courante – La cargaison – Les statues de Porticcio

211 • Les formations de la FFESSM

215 • La loi et l’organisation de la recherche archéologique en France

Épaves modernes: À qui appartiennent les « fèrraille »? / Le DRASSM / La législation du ministère du Travail ..

235 • Glossaire

239 • Une bibliographie de base

Anne commence à plonger en 1982 au sein du Club de Plongée d’Agay. Elle est directrice dumusée d’archéologie sous-marine de Saint Raphaël, diplômée de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, BEES 1, Médaille d’Argent de la FFESSM et scaphandrier classe 2 mention B.

Jean-Pierre commence à plonger en 1960, et peut exhiber fièrement sa licence fédérale 1962, obtenue au sein du Club des Amis de la Méditerranée, à Marseille ! Convaincu que la pharmacie mène à tout si l’on s’en éloigne un peu, il devient biologiste. Il est moniteur fédéral, médaille d’or de la FFESSM, scaphandrier classe 2 mention B. Depuis 1972, il édite la revue Cahiers d’archéologie subaquatique, ouvrage scientifique de diffusion mondiale, et depuis 1984 la série Naufrages en Provence, suivie par les monographies concernant toute la Méditerranée Française. Nous en sommes au fascicule 20 qui a pour titre Les Épaves déraisonnables situées entre 65 et… 127 mètres de profondeur ! Tout un challenge!

Anne est actuellement Présidente de la Commission Archéologique du Comité Côte d’Azur FFESSM, fonction assumée par Jean-Pierre entre 1989 et 2000. Ils se sont rencontrés voici dix-huit ans, en plein hiver, tous deux animés du virus plongeur, et ont dû effectuer ensemble bien plus de trois mille plongées entre 0 et 85 mètres. Leur passion ? Rechercher toujours – et parfois découvrir – des épaves (plus de vingt cinq épaves antiques par exemple, record inégalé!). Puis les étudier et en élaborer lentement la publication (plus de cinquante chantiers de fouilles) … On leur doit, entre autres, l’étude de très rares épaves sarrasines en Provence, la découverte du canon de bronze de la Chrétienne, la récupération de plus de quatre mille bols du temps de Louis XIV, douze épaves à Agay, des fouilles de sites s’étalant du VI’ av. au Xe ap. J.-C., des Étrusques à nos contemporains.

Ils sont les auteurs, aux Éditions GAP, de 50 épaves en Corse, 80 épaves à Marseille et préparent 150 épaves sur la Côte d’Azur…

Anne et Jean-Pierre Joncheray nous présentent, projet qu’ils caressaient depuis une dizaine d’années, leur ouvrage « À la découverte de l’ archéologie sous-marine« . Sans renoncer à épandre l’émotion qu’ils partagent ensemble dans le cadre de leurs plongées communes en Méditerranée,ils n’oublient pas de sublimer leur passion de la découverte en décrivant avec application, de façon presque boulimique, comment l’indice matériel le plus infime ou fugace contribue à la connaissance de l’histoire des gens de mer qu’ils soient humbles matelots ou bien plus fortunés et illustres, armateurs, commerçants, grands capitaines.

Ils prennent en considération- ce qu’ils ont déjà su bien faire précédemment dans d’autres publications – des portraits ou des descriptions d’épaves contemporaines des XIXe et XXe siècles, confortant la position des archéologues sous-marins – ce qui n’est pas partagé par tous les plongeurs – que constituent des biens culturels maritimes les épaves présentant un intérêt pour l’histoire récente. Ainsi, ils sont allés puiser dans les archives des informations qui valorisent leurs observations effectuées sous l’eau et ajoutent ainsi à la beauté et au secret de ces épaves endormies dans les fonds sous-marins des révélations tout aussi étonnantes et méconnues sur l’origine de ces navires et les circonstances de leurs naufrages.

Pour approcher le plus exactement possible la réalité de cette histoire, ils développent abondamment les exigences, les manières et les méthodes liées à l’interrogatoire des épaves de navires et des objets recueillis à leur bord et comment doivent être menées avec rigueur et circonspection les recherches en se référant notamment aux publications de spécialistes. Ils rompent ainsi, ce qui est habituellement observé chez les plongeurs, avec la vanité de la seule contemplation ou possession de l’objet et, pour accéder à la connaissance, questionnent les artefacts sur ce qu’ils sont susceptibles de rapporter sur les évènements et les drames survenus en mer, sur la nature des cargaisons et les grandes routes maritimes empruntées, sur les modes de vie des équipages à bord, sur les savoir-faire des constructeurs des chantiers navals.

Anne et Jean-Pierre Joncheray, revendiquant tous deux leur appartenance au milieu associatif en publiant sous l’égide de la FFESSM, démontrent, ce que j’ai toujours publiquement rappelé, qu’il n’existe pas deux archéologies, l’une professionnelle et l’autre amateur, mais bien une Archéologie, exigeante pour tous, qui impose rigueur et méthode, pluridisciplinarité, partage des connaissances et des expériences.

Je les remercie très amicalement, par cette publication qui trouvera incontestablement chez les plongeurs un accueil très favorable, d’être ainsi les porte-parole de la défense et de la promotion du patrimoine immergé.

 

Jean-Luc Massy
Conservateur général du Patrimoine
Chef du DRASSM

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