HS-2
Photographies 3D : Bernard Rothan / Textes : Pierre Martin-Razi
Hors-Série
N°2

Plongez en relief

Pierre Martin-Razi
par Pierre Martin-Razi

Un rêve d’enfant

L’âge adulte ne sert qu’à réaliser ses rêves d’enfant, dit-on. Même si la place n’est pas ici aux souvenirs, il me faut justifier – si besoin était – les pages qui suivent : j’ai découvert le monde sous-marin au travers d’un stéréoscope… L’engin de marque Viewmaster, si ma mémoire est bonne, possédait deux lunettes, une fente sur le dessus et une poignée latérale pour faire avancer les vues. Ces dernières étaient montées sur un disque de carton que l’on faisait tourner à loisir. On y découvrait un requin gris de récif, un mérou gueule ouverte, sans doute une poignée de poissons-citrons et un poulpe qui n’en demandait pas tant… Avec le recul, les photos appartenaient sûrement à la catégorie des images banales mais elles possédaient cette troisième dimension qui vous donnait l’impression que le requin allait vous dévorer, que le mérou s’apprêtait à vous embrasser, que les papillons sortaient de l’image, que le monde était un peu plus vrai que nature… C’était merveilleux.

Un catalogue, joint à l’appareil, présentait d’autres matériels (un projecteur et des lunettes polarisantes inaccessibles à un enfant sans argent de poche…) ainsi que la liste des séries disponibles. Sissi Impératrice et les châteaux de Bavière m’indifféraient mais on y trouvait 20 000 Lieues sous les mers des studios Disney. Pour mes six ou sept ans, un père Noël généreux me permit de fréquenter assidûment Kirk Douglas et James Masson, l’un aux prises avec la pieuvre, l’autre avec son orgue magnifique. C’était il y a a plus de quarante années et je n’ai jamais oublié … Comme une balise cardinale dans ma vie de plongeur. Allez savoir pourquoi ? Les hasards de la vie (une force inconsciente ?) m’ont placé aux commandes de revues subaquatiques.

Depuis lors, je n’ai jamais cessé d’imaginer publier un reportage, un cahier ou, pourquoi pas ?, un hors-série d’images sous-marines en stéréoscopie. Il faut croire que le temps n’était pas encore venu.. . C’est maintenant chose faite !

Je dois ici remercier en tout premier lieu Bernard Rothan pour avoir accepté de tenter (et de signer) l’aventure avec nous. Clef de voûte du projet, il est, à ma connaissance, le premier photographe sous-marin qui a osé l’approche de la prise de vue stéréoscopique sous-marine par le biais du grand-angle. Merci aussi à Bruno Dai Magro, de la société Arc en Ciel, le roi de la gouge informatique, pour avoir passé de longues heures à régler les différents (et assez nombreux … ) problèmes posés … Il me faut aussi exprimer toute ma reconnaissance à Daniel Chailloux, du Stéréo-club français, qui a bien voulu apporter sa grande compétence et sa touche finale au calage des images.

Enfin, je dois remercier le comité directeur de la FFESSM qui, à l’occasion du jubilé du nom de la Fédération française d’études et de sports sous-marins, a accepté de me faire confiance en facilitant la publication de ce qu’il faut bien considérer comme un exercice de style. La fédération s’affirme ainsi, avec ce clin d’oeil en 3 D, à la fois ancrée dans un solide passé mais aussi tournée vers un avenir novateur et ludique. Je suis fier et heureux, au travers de Subaqua, d’en avoir été tout à la fois l’instigateur et le coordinateur. L’adulte a désormais renoué avec le gamin d’antan…

Pierre Martin-Razi
Rédacteur en chef

BERNARD ROTHAN

Vingt-cinq années de pratique nous permettent d’affirmer, une bonne fois pour toutes, que la photographie sous-marine constitue une activité pratiquée par des fous dopés à l’illusion et au geste gratuit. Passe encore d’aller déranger les poissons en soufflant des bulles dans une eau salée (parfois agitée et rarement claire)… Mais s’adonner, de surcroît, à une activité qui consiste à conserver l’image de bestioles, pleines d’arêtes, sur une pellicule argentique (stockée dans un tiroir) démontre le caractère dérangé de ces indécrottables rêveurs… Alors, imaginer multiplier la difficulté en utilisant un appareil qui voit double ! C’est précisément ce à quoi s’est attelé Bernard Rothan avec une ténacité qui laisse pantois… Disons pour faire court que le bonhomme appartient à la catégorie – souvent jalousée – des enthousiastes, ces pratiquants de l’unique vertu comme l’affirmait le Commandant Philippe Tailliez.

Bernard a échappé aux barricades de 68 pour découvrir la mer et la plongée dans les eaux de Saint-Raphaël. Quatre ans plus tard, il peut glisser un brevet mérité de monitorat national dans sa poche revolver… Et comme un malheur n’arrive jamais seul, il fabrique une demie douzaine d’éclairages de sa conception et rencontre, pour l’occasion, l’inénarrable Jacques Chenard qui lui instille le virus de l’image subaquatique… (Nous profitons de l’opportunité qui nous est donnée pour écarter les deux ou trois diablotins palmés surveillant l’ami Chenz, là où il est sûrement, et saluer le roi de la photo de jazz et des couvertures d’Hara Kiri… ). Bref, en 1974, ce n’est plus de la photo à la sauvette, c’est du studio sous-marin mégalomaniaque…

Deux ans plus tard, cette démarche vaudra à Bernard un grand prix au festival d’Antibes et la mise au point d’un « bleu Rothan » selon l’expression de Christian Pétron, un spécialiste de cette couleur, surtout quand elle est grande…

Naturellement insatisfait des flashs à lampes, avant tout conçus pour électrocuter leurs utilisateurs, Bernard réalise une série de modèles électroniques avec lampe pilote, avancée technique rare à l’époque. Vient ensuite la saga assez classique des appareils photographiques aimés puis rejetés, noyés puis sauvés ou définitivement perdus … Chez les appareils photo subaquatiques, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les meilleurs qui partent les premiers…

Après avoir photographié tout ce qui était photographiable aux yeux (jolis…) de son épouse passionnée de biologie, il rejoint la commission nationale audiovisuelle de la FFESSM dont il devient l’un des moniteurs en 1984, transformé en instructorat en 1995. Cela lui permet, notamment, de participer à la rédaction d’un livre sur la photo sous-marine, publié par la Commission audiovisuelle et qui fera date.

Quelques diaporamas plus tard, Bernard découvre, par hasard, les joies de la stéréoscopie alors qu’il photographiait, le veinard, les parois de la grotte préhistorique Cosquer… Après avoir pesté contre la solution de deux F90 Nikon montés dans des caissons Hugyphot accolés, il passe le cap et réalise un caisson spécialement conçu pour mettre un appareil stéréoscopique doté de deux optiques de 20 mm… Une première qui laisse les spécialistes babas … Et débute une longueliste de solutions à trouver, de mises au point à effectuer, d’inconnues à débroussailler… Mais comme l’on sait que le plaisir est aussi fonction des escaliers que l’on doit grimper, nul doute que la satisfaction éprouvée par Bernard doit être au moins égale au bonheur que nous avons, nous-même, à regarder ses images.
À vos lunettes !

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